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Sans se laisser déconcerter par ces rebuffades, Valori, qui ne voulait pas trop tôt lâcher prise, n’en persistait pas moins à se traîner à la suite de l’état-major royal, mais c’était pour se voir relégué avec les valets qui suivaient l’armée dans des gîtes détestables, où il n’était pas même à l’abri d’une surprise de l’ennemi. Une fois, le logement qu’on lui assigna était si peu sûr et si mauvais qu’il crut pouvoir s’en plaindre. — « C’est bien, dit le roi, je vous ferai donner une sentinelle ; mais si vous vous trouvez mal ici, vous pouvez retourner à Berlin, où tous vos collègues sont restés. » — Valori ne manquait pas de rendre tristement compte à son ministre de tous ces affronts qu’il devait dévorer en silence ; il n’osait pourtant en tirer la conclusion qui s’offrait d’elle-même à l’esprit, et s’abstenait de tout commentaire, comme c’est l’habitude des agens intimidés quand ils sentent que leur chef a un thème tout fait d’avance et n’aime pas apprendre les vérités qui le contrarient[1].

Effectivement, à force de s’être souvent porté garant de la fidélité du roi de Prusse, d’Argenson s’était piqué d’honneur à n’en plus démordre, et il persistait même à cette dernière heure dans une confiance qu’il croyait pouvoir encore appuyer sur des raisons à ses yeux démonstratives. — Comment croire, s’écriait-il, que le moment choisi pour une défection et une défaillance serait celui où les deux souverains alliés, vainqueurs l’un et l’autre sur des théâtres différens, allaient recueillir les fruits de leur union par l’écrasement de leur ennemi commun ? Comment le roi de Prusse ne verrait-il pas le service que le roi de France lui rendait en abattant en Flandre ! une des têtes de l’hydre autrichienne ? et quel moment aussi pour se rapprocher d’un oncle qu’il n’avait jamais aimé que celui où une révolte triomphante allait peut-être faire tomber de la tête de George une couronne qui n’y avait jamais été solidement placée et le réduire à l’état de simple électeur de Hanovre ! Non, concluait-il, pour faire faire toutes les prévisions fâcheuses, le roi de Prusse, en grand politique qu’il est, surfait ses griefs pour qu’on lui en donne une plus large compensation. Ses plaintes sont des simagrées pour obtenir de nous les subsides qu’il sollicite. — Dans cette conviction, il crut avoir pourvu à tout et fermé la bouche aux faiseurs de mauvais présages en arrachant au contrôleur-général la permission d’offrir, pour l’entretien de l’armée prussienne, un maigre secours de 500,000 livres par mois. Cette mesquine largesse, annoncée avec triomphe à Chambrier, dut être officiellement offerte par Valori, en même temps qu’il remettrait une lettre de Louis XV où, en énumérant tous les succès qu’il avait remportés en Flandre, le roi de France

  1. Valori à d’Argenson, 22 juillet, 1er, 8 août, 3 septembre 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)