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Eugène. Torcy et Voysin étaient du même avis ; « Cette proposition est très avantageuse, écrit ce dernier à Villars ; j’ai peine à croire que M. de Hundheïm la donne sans la participation du prince Eugène ; » et il termine une lettre de complimens par cette phrase élogieuse : « Achevez votre ouvrage, monsieur, cela ne diminuera pas l’envie qu’on vous porte, mais vous reviendrez chargé d’honneur, avec toute la confiance du maître, qui sera engagé à chercher les moyens de répandre sur vous des grâces quand même vous ne les demanderiez pas. » Torcy ne voulut pas rester en arrière et adressa officiellement à Villars de banales assurances, mais en même temps il voulut répondre à l’attaque personnelle du maréchal, et il lui écrivit, tout de sa main, un billet que nous croyons devoir citer en entier ; on trouvera difficilement une leçon donnée avec plus de goût et de courtoisie :


Vous savez, monsieur, que le roi connaît assez l’état de ses affaires pour se déterminer par lui-même, prendre et changer ses résolutions, comme il le croit le plus convenable à sa gloire et au bien de son service, et que l’honneur de faire savoir ses volontés est notre seul partage. Vous savez aussi et vous m’avez fait jusqu’à présent la justice de croire que je n’oublierai rien pour mériter que vous me conserviez l’honneur de votre amitié dont l’ancienneté, loin de m’effrayer, me fait autant de plaisir que d’honneur. Mais quand même ces vérités ne vous parleraient pas en ma faveur, je vous avoue, monsieur, que je me flatte que vous auriez assez bonne opinion de moi pour me croire incapable de ruiner par caprice et sans aucun intérêt une affaire aussi essentielle au royaume et aussi importante à toute l’Europe que la négociation de la paix. Je ne suis pas étonné des avis qu’on vous a donnés. La cour et Paris foisonnent d’écrivains, et il faut bien qu’ils remplissent leurs lettres. Je ne suis pas surpris non plus de la question que M. le prince Eugène vous a faite. Si j’eusse été en sa place, j’en aurais peut-être usé de même. Mais je suis persuadé, connaissant son bon esprit, qu’il ne croit pas que je doive craindre ni éloigner la conclusion de la paix.

Je ne chercherai point d’autre témoin que vous-même, monsieur, pour vous persuader que je souhaite qu’elle nous vienne par votre moyen plutôt que par quelque autre voie que ce soit, et vous avez pu voir si je vous ai laissé rien ignorer, et de l’état où les négociations précédentes étaient demeurées et des intentions du rot. Si je vous ai expliqué vivement la peine de Sa Majesté lorsqu’elle s’est vue obligée de se désister d’une partie de ce qu’Elle voulait faire pour un allié fidèle, j’ai suivi ses intentions le plus précisément qu’il m’a été possible, et l’expression aura peut-être été d’autant plus forte que j’avoue