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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/393

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mystérieux, peu abstrait, médiocrement sentimental, et bien plutôt effervescence d’imagination qu’épanchement de sensibilité. Et pourtant l’Allemagne ne laisse pas de lui avoir ouvert la carrière. On l’invitait à être subjectifs il ne l’a point été précisément ; mais il est devenu plus personnel. Nos poètes ont enfin osé parler en leur nom. Ils ont été affranchis de la gêne de se déguiser, ils mettaient bien déjà, quoi qu’ils fissent, leurs sentimens dans leurs œuvres ; mais ils faisaient des œuvres apparemment impersonnelles, et parlaient, par exemple, sous le nom d’un personnage de tragédie. Ils ont eu au moins le plaisir de paraître davantage dans leurs écrits. Sans que le fond général changeât beaucoup, les formes littéraires en ont été renouvelées. Lamartine, c’est tout ce que Racine avait dans le cœur. — Il n’est pas jusqu’à ce contre-coup de la révolution française sur l’art français qui, à le prendre ainsi, ne soit chose vraie. Ceux qui disent que la littérature moderne doit quelque chose à la révolution n’ont tort que dans les raisons qu’ils donnent. Positivement et directement, la révolution n’a créé que la littérature parlementaire, qui, à la rigueur, est peut-être négligeable. Mais il est très vrai qu’en détruisant la « société » dans le sens restreint du mot, et « l’esprit de société, » la révolution a changé la condition de l’homme de lettres. Elle a fait le littérateur plus indépendant du monde, moins soucieux du public, ou du moins d’un public restreint, plus solitaire, et vraiment, encore, plus personnel. La nuit du 4 août a été une révolution littéraire très considérable, et la postérité dira peut-être que ce que 89 a le plus affranchi, c’est encore la littérature. — Voilà les grands changemens qui sont arrivés dans l’état des choses de lettres au commencement de ce siècle. Mme de Staël a deux mérites, dont le premier est de les avoir vus et le second d’y avoir aidé.


V

Les idées politiques de Mme de Staël ont été, comme ses idées philosophiques et littéraires, très pénétrantes, très vives, affranchies de tout préjugé, sincères et généreuses, insuffisamment liées, et laissant quelque incertitude en leurs conclusions. Elle les a réunies dans ses Considérations sur la Révolution française, livre incomplet, et à proprement parler inachevé, mais singulièrement personnel, et qui éveille à chaque page la réflexion. Ce qui parait, même au premier regard, manquer à cet ouvrage, c’est une étude sur les causes de la révolution. Une histoire de la révolution, c’est le XVIIIe siècle étudié dans son œuvre : on voudrait que Mme de Staël, qui connaît si bien le XVIIIe siècle, analysât l’état d’esprit que le XVIIIe siècle a créé en France. Elle n’oublie pas absolument ce