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et s’émeut de tels spectacles. Il se laisse aller au courant de sentimentalité religieuse qui traverse cet épisode évangélique ; devant la reproduction ou la contrefaçon d’un groupe divin, il s’égare en imaginations vagues, en rêveries attendrissantes de régénération et d’amour. Des conditions spéciales, l’obscurité du théâtre, l’harmonieux et continuel murmure de l’orchestre invisible, le recueillement de l’auditoire, tout prédispose l’âme, et surtout les nerfs, à l’effet de cet art ou de cet artifice. Blasphème, disent les initiés ; c’est un Titien que cette scène. D’accord, mais l’éloge est-il bien à sa gloire ? Sous prétexte de les réunir, ne brouillons pas les arts. Ni pour la musique, ni pour la peinture, il n’est à souhaiter qu’un théâtre lyrique devienne un diorama.

Heureusement le dernier tableau nous rend, peut-être encore plus belles, les beautés du second : même décor et même situation. Amfortas refuse à ses chevaliers la célébration de l’office ; il veut, il va mourir, lorsque Parsifal, la sainte lance au poing, un manteau de pourpre jeté sur sa robe blanche, entre rayonnant comme un Christ vainqueur. L’éclat de cette entrée est indescriptible. On dirait que Wagner s’est rappelé son Lohengrin, le chevalier aux yeux clairs, à l’armure d’or, le fils de ses jeunes années, de ses années bénies ; ou plutôt, en écrivant de telles pages, les dernières de toutes, il était peut-être assez près de mourir pour apercevoir déjà les rayons éternels dont cette sublime apothéose est illuminée. ParsifaI a guéri le roi, et à son tour il balance au-dessus de la foule le calice resplendissant. Les divines mélodies flottent de nouveau dans l’air, tous les thèmes sacrés reparaissent. Du pavé du temple aux mosaïques de la coupole, les enfans et les jeunes hommes célèbrent le grand miracle enfin accompli. L’orchestre entier s’épanche dans une adorable effusion de miséricorde et d’amour. Les harpes pétillent, leurs accords ruissellent. Tout prie, tout aime, « une immense bonté tombe du firmament. » D’un suprême coup d’aile, les grandes phrases pieuses s’enlèvent jusqu’au ciel. Une dernière fois, l’ensemble colossal apparaît radieux et pur, sans une ombre, sans une tache. Peu à peu, les litanies enchanteresses s’apaisent et s’éteignent, le silence se fait et le rideau se referme. Wagner alors a bien fait de mourir. Après avoir entendu de telles voix, il ne pouvait plus entendre que la voix même de Dieu.


CAMILLE BELLAIGUE.