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pouvait-on, à la rigueur, sans le secours du clergé, mourir et même pourrir ; mais se marier, point du tout.

Fallait-il que les comédiens et comédiennes fissent le vœu de chasteté ? Ce parti aurait en ses avantages : « Il serait à souhaiter, avait écrit l’abbé de Pure, que toutes les comédiennes fussent et jeunes et belles, et, s’il se pouvait, toujours filles, ou du moins jamais grosses. » Mais une des raisons qu’il en donnait, c’est que ce mal « dure plus depuis qu’il a commencé, qu’il ne tarde à revenir depuis qu’il est fini ; » apparemment, il avait eu l’occasion, au théâtre même, de faire cette remarque : si le vœu en question eût été prononcé, rien ne dû qu’une grâce d’état en eût assuré le respect. Que restait-il aux comédiens ? Le droit indéniable, sinon sacré, de faire des bâtards. C’était une compensation, s’ils regardaient au-delà des Alpes quelques-uns de leurs confrères admis à la sainte table, — « ces messieurs, » dont parle Voltaire, « qui chantent le dessus dans les opéras italiens. » — Il paraît cependant que cette licence ne leur suffisait pas. On n’oserait jurer, sans doute, qu’ils persévéraient tous dans ces mœurs édifiantes dont le naïf Chappuzeau avait témoigné : « De retour chez eux, ce ne sont plus les mêmes ; c’est un grand sérieux et un entretien solide, et dans la conduite de leurs familles on découvre la même vertu et la même honnêteté que dans les familles des autres bourgeois qui vivent bien. » ils prétendaient, du moins, avoir une famille : et voyez, pour y parvenir, quelle bizarre et mesquine comédie, justement, ils étaient forcés de jouer, à la ville, cette fois, et même à l’église. Ils renonçaient à leur état : l’archevêque, là-dessus, donnait permission de les marier ; après quoi, le premier gentilhomme de la chambre leur commandait de remonter sur la scène. Un jour vint que l’autorité ecclésiastique se lassa de ce rôle de dupe ou de complice : elle exigea, par surcroît, un engagement de MM. les gentilshommes de ne pas donner pareil ordre. Molé, pour épouser sa camarade, Mlle d’Épinay, dut employer la ruse : on mêla le permis avec d’autres papiers, que l’archevêque signait sans les lire. C’est une tromperie sur la personne qui réussit à Mlle Duclos, lorsqu’elle se passa le caprice, à l’âge de soixante ans, d’un mari de dix-sept ; — elle réussit même si bien que, peu après, désenchantés l’un de l’autre et saisis de scrupules, ils s’entendirent assurer que cette union était valide.

Au demeurant, une fin sans sacremens ni sépulture chrétienne, en ce temps-là, ne profitait à personne : elle n’attirait d’honneurs ni au défunt, ni à ses proches, ni à ses croque-morts. On usait donc d’humilité ou même d’artifice, dans ce mauvais pas, pour désarmer l’Église, comme lorsqu’on était en passe de se marier. Molé, à trente-deux ans, se voit très malade : il renonce au démon comique et à ses œuvres ; il se confesse, communie et reçoit l’extrême-onction. Mais, pas si bête