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des circonstances et d’une nécessité supérieure. Que cette situation soit incohérente et indécise, qu’il y ait des oscillations, des tiraillemens, des contradictions entre les actes et les paroles, que le gouvernement, un peu novice lui-même dans son rôle, soit de plus démenti par ses préfets comme on l’a vu depuis quelques jours, c’est possible. Que cette expérience d’une politique de halte et de trêve, contrariée par toutes les passions jalouses de parti et de secte, puisse ne pas réussir du premier coup, cela se peut encore. L’expérience n’est pas moins engagée, et par une curieuse coïncidence, au moment où se passent ces événemens, on vient d’inaugurer au Père-Lachaise, avec une dignité silencieuse et recueillie, le monument de M. Thiers, de celui qui le premier, il y a déjà bien des années, a tracé avec tout l’art de son ingénieuse sagesse le programme de la république modérée, libérale et tolérante. Cette simple commémoration, à laquelle les partis extrêmes se sont hâtés naturellement de mêler leurs injures, en dit plus que toutes les polémiques. Elle est aujourd’hui plus qu’un hommage rendu à un homme : elle se lie à cette expérience nouvelle, à ce retour contemporain vers la politique que M. Thiers a proposée inutilement quand il était encore de ce monde, et dont dix années d’agitations stériles sont venues démontrer la prévoyante justesse.

Toutes les subtilités des polémistes n’y feront rien, elles ne changeront pas la situation que la force des choses a créée, que l’avènement du ministère n’a fait que dévoiler. Il ne s’agit point aujourd’hui, pas plus qu’il y a quinze ans, de choisir entre la république et la monarchie : c’est une question qui ne se tranche pas d’habitude par des discussions de journaux. Il s’agit de remettre un peu d’ordre dans les affaires troublées de la France, d’assurer au pays un bon gouvernement, la paix religieuse, l’équité administrative, la régularité financière, des lois protectrices, des réformes, si l’on veut, qui soient des réformes sérieuses, pratiques ; il s’agit de tout cela, et la première nécessité pour suivre utilement cette politique est d’en accepter les conditions, de ne pas mêler un peu de radicalisme à des velléités de modération, de se défendre de tout esprit d’exclusion, de ne pas craindre l’alliance de toutes les bonnes volontés. Ce n’est malheureusement pas toujours là ce qu’on fait. Une des idées les plus étroites, les plus fausses, de certains républicains qui en ont tant d’autres de ce genre, est l’idée qu’ils se font du gouvernement et du régime parlementaire. À suivre les polémiques qui se croisent, surtout depuis l’avènement du ministère Bouvier, on dirait que les républicains ont seuls le privilège de régner et de gouverner, qu’ils ont tous les droits dès qu’ils ont la majorité, que le régime parlementaire n’existe que pour être entre leurs mains un instrument de domination et de guerre contre leurs adversaires. Le dernier mot du système est cette étrange théorie développée avec complaisance depuis quelque