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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/499

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pour achever les opérations de la campagne, des commentaires et des critiques avaient recommencé à circuler. De tristes nouvelles arrivaient des succès de la marine anglaise dans les parages lointains de l’Atlantique, et le résultat prévu de l’élection de Francfort faisait juger assez sévèrement la conduite de l’armée du Rhin. Enfin, on savait que, dès que la cour serait rétablie à Versailles, aurait lieu la présentation officielle de la nouvelle marquise de Pompadour à la reine[1].

Effectivement, ce fut au jour indiqué que celle qui remplaçait Mme de Châteauroux dans le cœur du roi pour y régner tant d’années en souveraine, paraissant dans tout l’éclat de sa beauté, fut introduite dans ce cercle royal, d’où la tenaient éloignée sa condition comme sa naissance. Elle était amenée par la princesse de Conti, mère du général de l’armée du Rhin, qui s’était chargée de cette commission, dans l’espoir d’assurer à son fils la succession, toujours prête à s’ouvrir, du maréchal de Saxe… — « Il y avait un monde prodigieux, dit Luynes, dans l’antichambre et la chambre du roi, mais assez peu dans le cabinet… Tout Paris était occupé de savoir ce que la reine dirait à Mme de Pompadour. On avait conclu qu’elle ne pouvait lui parler que de son habit, ce qui est un sujet de conversation fort ordinaire aux dames quand elles n’ont rien à dire. La reine, instruite que Paris avait déjà arrangé sa conversation, crut par cette raison même devoir lui parler d’autre chose… Je ne sais si Mme de Pompadour entendit ce qu’elle disait, car la reine parla assez bas ; mais elle profita de ce moment pour assurer la reine de son respect et du désir qu’elle avait de lui plaire. La reine parut assez contente du discours de Mme de Pompadour, et le public, attentif jusqu’aux moindres circonstances de cet entretien, a prétendu qu’il avait été fort long et qu’il avait été de douze phrases. M. le dauphin parla à Mme de Pompadour de son habit. Ce qu’il y a de singulier dans le choix de Mme la princesse de Conti, c’est qu’elle ne connaît pas du tout Mme de Pompadour ; je crois même qu’elle ne l’avait jamais vue avant ce moment. » — Puis Mme de Pompadour fut installée dans l’appartement qu’avaient occupé avant elle Mmes de Châteauroux et de Mailly. Cette suite de cérémonies, aussi tristes que piquantes, eut lieu pendant cette première semaine de septembre, qui voyait couronner à Francfort l’ambition de Marie-Thérèse. Ainsi se trouvaient mises en présence, par le jeu le plus étrangement combiné du hasard et des passions humaines, ces deux femmes, la veille encore séparées par toute la distance que peuvent mettre entre des créatures humaines le rang et la vertu, et dont la

  1. Chambrier à Frédéric, 10 septembre 1745. — Ministère des affaires étrangères.)