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établies entre lui et la princesse, puisqu’elle lui avait fait dire de lui envoyer à Francfort les propositions de la France. Rien ne lui eût été plus aisé que de donner à ces relations un caractère plus confidentiel, soit en se rendant lui-même dans la ville impériale où il avait laissé de nombreux amis, soit par le moyen des agens inférieurs tels que Blondel et La Noue, dont il connaissait la capacité et possédait la confiance. Si quelqu’un pouvait enlever de haute lutte une décision rapide, c’était lui ; ce fut cependant de ses deux correspondans celui à qui d’Argenson fit attendre le plus longtemps sa réponse ; et quand il se décida à lui parler, au bout de quinze jours, ce fut pour lui exprimer ses doutes sur la réalité de la convention de Hanovre, en y ajoutant ces quelques mots bien propres à refroidir son zèle : — « Quant à la négociation proposée par la reine de Hongrie, entretenez-la, mais y mettez du vôtre le moins que vous pourrez[1]. »

Vaulgrenant, qui resta ainsi seul chargé de pouvoirs réguliers, était loin de jouir de l’autorité et de posséder l’expérience de son collègue. C’était un diplomate novice dans son métier, arrivé en Allemagne juste à temps pour assister aux mécomptes et aux déboires de la politique française et pour se voir constamment joué et enfin publiquement maltraité par le comte de Brühl. Il ne tenait en main aucun fil qui lui permît de nouer des rapports personnels avec l’Autriche. Ce n’était pas à lui en réalité qu’on remettait le soin de négocier. Son rôle se bornait à accepter la médiation du roi de Pologne. Ainsi la France, à ce moment critique, remettait le soin de sa destinée à un tiers égoïste, fourbe et peut-être vénal, qui ne se servirait probablement de son nom que suivant d’autres convenances et pour d’autres intérêts que les siens. Il était clair que Vaulgrenant, doutant lui-même de la sincérité du médiateur, apercevant dans le ton de son ministre une méfiance qu’il partageait, craignant à la fois d’être trompé à Dresde et désavoué à Paris, ne songerait qu’à s’aventurer le moins possible sur le terrain semé de pièges où on lui commandait de marcher. De plus, en plaçant le centre de la négociation à Dresde, d’où Marie-Thérèse s’éloignait en ce moment même, au lieu d’aller la chercher elle-même à Francfort, on se condamnait d’avance au plus fâcheux retard.

L’essentiel, cependant, eût été d’aller vite et de mettre promptement les fers au feu pour profiter non-seulement du premier moment d’irritation de Marie-Thérèse, mais de l’embarras dans lequel Frédéric devait se trouver placé par une résistance plus obstinée

  1. D’Argenson à Chavigny, 4 octobre 1745. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)