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qu’a joué, à toutes les époques de cette vie royale, le mélange des affections domestiques aux calculs de la raison d’état, et la part que la femme, plus tard la mère, a toujours prise aux résolutions de la souveraine[1].

Malgré cette absence que chacun commentait et regrettait tout bas, la cérémonie eut lieu suivant toutes les formalités antiques, mais avec un éclat inaccoutumé. — « Ce matin, à onze heures, dit le résident La Noue, le prince est sorti de son palais, précédé, après les livrées et les gentilshommes, des comtes de l’empire à pied et nu-tête, des ambassadeurs, des électeurs séculiers à cheval, habillés à l’espagnole et couverts, du maréchal héréditaire de l’empire marchant devant lui aussi à cheval avec l’épée nue, et il s’est rendu à la principale église. Il montait un cheval noir et s’avançait sous un dais à fond jaune avec l’aigle éployée de l’empire,.. une couronne fermée en tête, et revêtu d’un manteau de velours pourpre doublé d’hermine, le collier de la Toison d’or au cou. » La couronne qu’il portait en entrant à l’église était celle du royaume de Jérusalem, dont la maison de Lorraine se disait, je ne sais à quel titre, héritière ; au moment où il dut la changer contre le diadème impérial, l’archevêque de Mayence, qui officiait, demanda à haute voix, suivant un usage consacré, s’il n’y avait pas dans l’assistance quelqu’un qui portât le nom de Dalberg : c’était le droit de cette noble maison de recevoir la première accolade de l’empereur. Un membre de la famille présent s’avança, armé de pied en cap et le casque en tête, et l’empereur, le touchant avec l’épée de Charlemagne, l’arma chevalier de sa propre main.

En sortant, l’empereur se rendit à l’Hôtel de Ville, où Marie-Thérèse, après avoir assisté sans éprouver aucune lassitude (quoi qu’elle en eût dit) à toute la solennité, l’avait déjà devancé. Dès qu’elle l’aperçut, elle s’avança à sa rencontre le visage enflammé, les yeux brillans, agitant son mouchoir et mêlant sa voix aux clameurs de la foule. On eût dit qu’en le voyant paraître dans ce brillant appareil que rehaussaient sa haute stature et son port élégant, elle retrouvait tout le feu de ses premières amours. Ceux qui l’approchaient ont même raconté qu’avant d’applaudir, elle avait eu soin d’ôter ses gants, afin qu’on entendît plus distinctement le son de ses mains frappant l’une contre l’autre. Elle assista ensuite au festin qui suivit, sans qu’elle eût l’air de songer davantage aux ménagemens qu’exigeait son état[2].

  1. D’Arneth, t. III, p. 105 et suiv., 429 et 430 ; — Erizzo, ambassadeur de Venise 6 novembre 1745.
  2. La Noue à d’Argenson, 4 octobre 1745. (Correspondance d’Allemagne. — Ministère des affaires étrangères.) — Erizzo, ambassadeur de Venise, 2 et 9 octobre 1745 ; — d’Arneth, t. III, p. 108.