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amour naïf et profond, exalté et sincère, passionné et chaste, que sa naïveté même trahit, que sa sincérité livre en proie et sans autre défense que le hasard à l’égoïsme voluptueux et féroce d’un homme du monde, et que sauve enfin du dernier désespoir un cœur héroïquement silencieux, un cœur digne d’elle, digne de la réconcilier avec la vie et l’amitié. — Valentine recommence, avec des détails ravissans et une poésie incomparable, ce thème du mariage impie et malheureux que les convenances sacrilèges du monde ont imposé et qui traîne à sa suite les plus lamentables et tragiques douleurs, le réveil violent de la nature et du cœur, les ardeurs fatales, les tentations plus fortes que la volonté, la famille déshonorée, une noble maison brisée, un foyer anéanti. — Jacques, c’est son idéal de l’amour dans l’homme (comme Indiana est son idéal de l’amour dans la femme) ; c’est un stoïcien devenu amoureux avec la profondeur et l’élévation qu’un stoïcien peut mettre dans ces sortes de choses, avec un courage triste jusqu’à la mort dès qu’il pressent une faiblesse ou une trahison, un dévoué qui abdique sans éclat tous ses droits et se résigne au suicide pour épargner à Fernande, adorée jusque dans sa faute, l’humiliation de ses joies coupables et la honte de son bonheur adultère. — L’amour dans une nature gracieuse et faible qu’il exalte et qu’il brise, l’amour encore, mais dans une nature sauvage qu’il dompte et qu’il élève à la plus haute éducation de l’intelligence et du cœur, ce sont deux rêves sur les effets divers de la grande passion, c’est André, c’est Mauprat. — Lélia! Qui ne se rappelle toujours, après l’avoir lu une fois, ce poème étrange, incohérent, magnifique et absurde, où le spiritualisme tombe si bas, où la sensualité aspire si haut, où le désespoir déclame en si beau style, où l’esprit ravi, étonné, scandalisé, passe brusquement d’une scène de débauche à une prière sublime, où l’inspiration la plus fantasque s’élance de l’abîme au ciel pour retomber au plus profond de l’abîme? C’est le doute qui blasphème, qui maudit, qui s’attendrit jusqu’à l’extase, c’est l’amour qui s’injurie lui-même sans pitié et qui analyse ses misères avec une sorte de fureur désespérée ; c’est la foi qui tantôt se renie et tantôt s’exalte ; c’est l’idéal qui se déshonore dans les bras des prostituées, et qui demande à l’orgie l’impuissante consolation de ses rêves et de ses élans trompés. Ce lyrisme excessif, bien qu’il ait vieilli, offre encore au lecteur un spectacle étonnant où le vertige et la fièvre se mêlent à des aspirations de la plus grande beauté. — Dans Spiridion, le jeune moine Alexis, qui n’est pas sans ressembler beaucoup à George Sand elle-même en consultation auprès de Lamennais, représente l’âme en peine à la recherche de la vérité religieuse, touchée de l’idéal divin et le cherchant avec une douloureuse anxiété à travers les symboles et les livres, et surtout à travers