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que ceux de Caroline de Saint-Geneix avec la vieille marquise, une personne compliquée, faussée par l’abus des relations sociales, incapable de vivre seule, incapable même de penser quand elle est seule, mais esprit charmant dès qu’elle est en communication avec l’esprit d’autrui, et dont la jouissance unique en ce monde est la conversation, qui lui rend le grand service d’activer ses idées, de les rendre gaies par le mouvement, de la tirer hors d’elle-même ! Ce qui frappe le lecteur, c’est le grand air qui règne d’un bout à l’autre de ce charmant récit, c’est l’attitude et le ton de la vie aristocratique, si naturellement pris et si naturellement gardé dans tout ce roman. On n’a pas assez remarqué ce caractère de l’esprit de Mme Sand dans ses anciennes œuvres. La démocratie des idées a fait illusion et donné le change sur l’habitude et l’allure de ce style, qui n’est jamais mieux à sa place que dans les peintures de la haute vie, où il excelle sans effort, où il se meut avec une aisance merveilleuse. Que l’on compare, sur ce point, avec Balzac ! quelle supériorité aisée chez George Sand!

C’est le caractère des esprits vraiment supérieurs de se continuer sans se répéter et de savoir se renouveler. Toutes les œuvres de la dernière période ne méritent pas cependant le même éloge. Il arrive à l’auteur d’y faire sentir quelques traces de fatigue, dont la plus marquée est une prolixité qui ne s’arrête plus dans les derniers romans et que combattent en vain quelques traits d’analyse morale et quelques pages de description saisissante. Il n’en reste pas moins vrai que c’est un prodige de fécondité que cette vie littéraire de Mme Sand, vue dans son ensemble, enchantant de ses fictions ou troublant de ses rêves quatre ou cinq générations, à travers tant de catastrophes publiques ou privées, presque toujours égale à elle-même, mais n’ayant jamais dit le dernier mot de son art, déconcertant à chaque instant la critique, qui croit l’avoir enfin saisi, lui réservant toujours de nouvelles surprises, tandis qu’autour d’elle, et sur la route qu’elle a parcourue, se sont amoncelés tant de ruines intellectuelles, tant de débris, de talens incomplets, frappés ou d’impuissance ou de ridicule et, dans leur infatuation, ne s’apercevant même pas qu’ils ont cessé d’exister.

Dans l’intervalle des romans, qui étaient l’œuvre principale de sa vie, elle trouvait le temps de se mêler activement, même sous forme littéraire, de la vie des autres, soit qu’elle racontât toute sorte d’histoires à ses petits enfans, le Château de Pictordu, la Tour de Percemont, le Chêne parlant, les Dames Vertes, le Diable au champ, toutes les variétés des contes d’une grand’mère, où se montre une imagination intarissable, soit qu’elle écrivît d’une plume négligente sur le bord de la table de famille ses impressions un peu