Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chiffonnées et recroquevillées chères au maître, ses mouvemens trop brusques, ses raccourcis trop raides, notamment dans la danseuse du fond, étendant une écharpe sur sa tête, comme un enfant qui saute à la corde, et en même temps la grâce propre à Léonard; un de ces chorybantes échevelés, au costume inspiré de l’antique, se distingue par son sourire, par son regard profond, le galbe de son bras, le rythme de ses mouvemens. La technique, — Le dessin est exécuté à la plume, — rappelle les dessins si heurtés de Verrocchio, mais avec je ne sais quelle liberté et quel charme inconnus à ce dernier.

Mais nous avons mieux que de simples dessins et de pures présomptions. Le fameux Baptême du Christ, conservé à l’académie des beaux-arts de Florence, nous révèle jusqu’à l’évidence non-seulement la collaboration du disciple avec le maître, mais encore l’influence exercée par le premier sur le second. Vasari raconte que, Léonard ayant peint l’ange agenouillé près du Christ, Verrocchio, découragé par l’habileté de son jeune émule, abandonna dès lors les pinceaux. L’examen du tableau confirme ce récit. Rien de plus ingrat, de plus pauvre, que les deux figures principales, le Christ et saint Jean ; nulle distinction dans les formes, nulle poésie dans l’expression : ce sont des académies péniblement exécutées d’après quelque modèle laid et âgé pris dans la classe ouvrière, quelque misérable manœuvre qui aura consenti à poser devant Verrocchio. Quelle jeunesse et quelle grâce achevée, au contraire, dans celui des anges que la tradition attribue à Léonard! Comme du premier coup le lion fait sentir sa griffe, et comme Verrocchio a eu raison de jeter ses pinceaux ! Il ne serait pas impossible que le fond fût également l’œuvre du débutant : c’est un paysage fantastique, qui n’est pas sans analogie avec celui de la Joconde. Le coloris, d’une gamme brunâtre, offre aussi une grande ressemblance avec celui que Léonard adopta, notamment dans le Saint Jérôme, de la pinacothèque du Vatican, dans la Vierge aux rochers et dans la Joconde.

Un autre ouvrage encore, une maquette pour deux des figures d’anges destinés au tombeau du cardinal Forteguerra, au dôme de Pistoïa, maquette entrée au Louvre avec la collection Thiers, semble indiquer une association de l’élève avec le maître. « S’ils n’étaient pas de Verrocchio, a dit un juge autorisé, M. Louis Gonse, ces anges ne pourraient être que de la main divine de Léonard lui-même, tant le pur sentiment léonardesque dont ils sont imprégnés rappelle la figure d’ange dans la Vierge aux rochers, au Louvre, ou celle du Baptême du Christ, à l’académie de Florence. »

En résumé, Léonard ne songea point, et pour cause, à demander à Verrocchio des formules toutes faites, du genre de celles dont Raphaël fit si longtemps son profit dans l’atelier du Pérugin. Rien