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la lente révolution de l’année religieuse, confondant nos croyances et nos sensations, associant les phases de la vie du Christ avec les transformations de la terre, tantôt lumineuse et souriante, tantôt voilée de pleurs. L’anglicanisme, c’était la foi romaine, dépouillée de sa poésie : Keble lui restituait cette poésie.

Parmi les âmes qui tressaillirent à ces accens nouveaux étaient, au premier rang, le docteur Pusey et John-Henry Newman, destiné à devenir ce grand cardinal Newman dont j’écris le nom avec un respect infini, et qui vit encore parmi nous, entouré d’hommages et chargé d’années, ils formèrent avec Keble une sorte de triumvirat religieux, où Newman eut bientôt la prépondérance, et dont l’action se manifesta par la publication d’une série de Traités pour le temps. À ces traités travailla une légion d’auteurs ; j’y retrouve, avec Gladstone et Manning, le frère aîné de l’historien, Hurrell Froude, esprit fougueux, ouvert à toutes choses, épris surtout de force et d’autorité. Ces jeunes gens avaient pour but de combattre le rationalisme, d’éclaircir les questions de discipline et d’histoire ecclésiastique, de définir le dogme, et surtout de donner aux croyances une vie nouvelle. Il me semble voir passer une croisade intellectuelle où chacun s’est armé comme il a pu et marche à sa guise, mais où l’enthousiasme supplée à la tactique. En route, il y a des égarés, des traînards, des dissidens ; mais le gros de l’armée continue à s’avancer, dans un nuage de poussière, vers je ne sais quelle terre promise, ou à la rencontre d’un ennemi mal connu.

Il y avait deux ans que l’aîné des Froude avait été prématurément enlevé à ses amis, lorsque James-Anthony arriva à Oxford, précédé par le bruit de ses succès à Westminster College. On devine quel accueil lui fit le docteur Newman. Ceux qui ont senti l’influence magnétique d’un prêtre, ceux qui savent combien cette influence est délicieuse, apaisante, doucement irrésistible, comprendront ce que j’ai à dire présentement de Newman et de son disciple. Je me rappelle l’ascendant qu’exerçait le père Gratry sur quelques jeunes gens de ma génération. Il les fascinait de son sourire, les enveloppait de sa dialectique, les éblouissait de ses visions, les ravissait avec lui dans ce monde théologique, qui a son évidence et sa logique différentes des nôtres, et où l’entendement, comme un marin qui voit pour la première fois les constellations de l’hémisphère austral, doute de lui-même et ne se connaît plus. Je me figure ces facultés portées à leur comble chez Henry Newman. Il était poète comme Keble : il a jeté, çà et là, des vers exquis dans la Lyre apostolique. Il était critique : témoins les nombreux articles qu’il a semés dans les Magazines. Il raillait quand il voulait, mais il ne voulait point, a Son esprit, dit M. Froude, était large comme le monde, » et, avec cela, mobile, aérien, presque fluide, « la légèreté