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comme un autre. Iahvé était le vrai roi du peuple, dans le système théocratique. Lui substituer un roi profane était une impiété, une ingratitude, une apostasie. C’était une marque de défiance; c’était dire à Iahvé qu’il ne suffisait pas à défendre son peuple, qu’un roi valait mieux. La théocratie revêtait ainsi l’apparence de la démocratie. Le roi, représentant d’une société laïque et profane, apparaissait comme une diminution de la société religieuse.

Tel ne fut sûrement pas le sentiment de Samuël. La satire qu’il est censé faire de la royauté vise le règne de Salomon, qu’il ne pouvait prévoir soixante ans d’avance. Mais, idéalement parlant, la page fine et naïve où se résume la politique de la théocratie israélite a toute sa vérité. La dualité est déjà établie. Israël aspire à deux choses contradictoires : il veut être comme tout le monde et être à part ; il prétend mener de front une destinée réelle supportable et un rêve idéal impossible. Le prophétisme et la royauté sont mis, dès l’origine, en opposition absolue. Un état laïque, obéissant à toutes les nécessités des états laïques, et une démocratie théocratique, minant perpétuellement les bases de l’ordre civil ; voilà la lutte dont le développement remplit toute l’histoire d’Israël et lui donne un si haut cachet d’originalité. En choisissant pour théâtre de la lutte la conscience même de Samuël, l’historien théocrate a fait comme Denys d’Halicarnasse, prêtant les raisonnemens les plus profonds de la politique romaine à Romulus.

L’institution de la royauté en Israël fut un fait tout profane ; il ne s’y mêla aucune idée religieuse. Bien que des récits fort anciens nous montrent Saül en rapports avec les nabis, il ne tenait rien, à ce qu’il semble, des cohanim. La fiole d’huile que Samuël est censé verser sur sa tête est une légende, et, en tout cas, n’est pas inconciliable avec les données très sérieuses qui montrent la royauté d’Israël sortant d’une espèce de champ de mai. Les sacrifices qui se firent, dit-on, à Galgal, étaient le festin obligé de toute solennité. Le narrateur biblique entend sans doute que ces sacrifices furent offerts à Iahvé. Cela put être. Remarquons cependant que Saül fut, comme Gédéon et Jephté, un adorateur intermittent de Iahvé. Ses fils s’appellent Jonathas, Meribaal, lsbaa1, Milkisua; ce qui prouve qu’il flotlait entre les mots de Baal, de Milik ou Moloch, de Iahvé, pour désigner la divinité. L’impossibilité où il se trouva, durant tout son règne, de s’entendre avec les pro{)hèles et les prêtres, prouve bien que l’origine de son pouvoir fut laïque, et c’est bien là le caractère que la royauté gardera en Israël jusqu’à ses derniers jours. « Le roi fut fait en Israël par l’assemblée des chefs du peuple et l’accord de toutes les tribus; » voilà une des rares généralités historiques qu’on lit dans les vieux textes hébreux, et la place singulière