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sent le juif, surtout l’enfer. Ces sentimens sont peints avec une ardente sincérité et avec le désordre des émotions vraies ; on n’est point en présence d’un comédien drapé dans son scepticisme, mais d’un honnête homme déchiré, navré de ne pas croire. Lorsque Markham parle de ses doutes à des hommes plus âgés, à des clergymen, ceux-ci soupirent, lèvent les yeux au ciel et lui laissent voir des doutes semblables, enterrés dans leurs propres consciences et auxquels personne n’a jamais répondu. Peu à peu ces doutes sont descendus, par leur propre poids, jusqu’à ce lit de vase qui est au fond des âmes comme au fond des rivières. On entraîne Markham à peu près comme on entraine une jeune fille qui hésite à prendre un mari sans inclination. « A quoi bon l’inclination ? Épousez toujours : l’amour viendra après. » Ainsi de la vocation religieuse ; elle nait de l’habitude, de la sainte routine des bonnes œuvres. La vie, ce n’est pas le rêve, c’est l’action : agir, tout est là ! Markham se laisse faire. Il sera prêtre, pour faire plaisir à son père et à ses sœurs, pour ne pas désobliger son évêque.

A peine dans sa paroisse, le jeune clergyman célibataire est entouré d’intrigues. La vanité, la curiosité, l’envie, toutes les passions froides, — les plus mauvaises de toutes, — braquent leurs lorgnettes, nouent leurs complots. Les femmes, âpres gardiens de l’orthodoxie dans toutes les religions parce qu’elles ne doutent de rien, flairent le déiste sous le surplis du ministre. Nous entrevoyons des religious tea-parties, où, entre un psaume et une tasse de thé, on conspire la perte du pauvre jeune recteur, coupable d’avoir dédaigné ces pieux enfantillages. Ce n’est qu’une esquisse, et c’est dommage. Espionné, provoqué, mis sur la sellette, Markham laisse échapper son secret : pour lui, la Bible est un tissu de mensonges et d’abominations. On devine le résultat. Contraint de résigner sa cure, Markham reprend sa liberté. On se demanda à Oxford si M. Froude avait voulu raconter son histoire. Il répondit fièrement dans la préface de sa seconde édition : « Ce livre n’est pas une confession, mais admettons que c’en est une. » En effet, c’était et ce n’était pas une autobiographie. Les aventures appartenaient bien à Markham Sutherland ; les sentimens étaient ceux de Froude. L’université en jugea ainsi : elle censura l’auteur, qui répondit par une démission. Le voici, à trente ans, en quête d’une foi, d’une carrière et d’un maître.


II

A peu près dans le même temps où Newman publiait le traité n° 90, Thomas Carlyle donnait à Londres ses lectures sur les Héros et le culte des héros. Les jours où il parlait, Portman-Square était