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aveugles et les boiteux, » et ce fut un proverbe à Jérusalem : « Les aveugles et les boiteux à la porte ! »

La ville jébuséenne se composait de la forteresse de Sion, qui devait être située vers l’emplacement actuel de la mosquée el-Aksa, et d’une ville basse (Ophel), qui descendait de là vers la source qu’on appelait le Gihon. David prit la citadelle de Sion, donna la plus grande partie des terrains environnans à Joab, et probablement laissa la ville basse aux Jébuséens. Cette population, réduite à une situation inférieure, s’atrophia devant le nouvel apport israélite, et c’est ainsi que le quartier d’Ophel est resté sans grande importance dans l’histoire de Jérusalem.

David rebâtit la haute ville de Sion, entre autres la citadelle ou millo et tous les quartiers voisins. C’est ce qu’on appela la ville de David. L’argent que David avait gagné avec ses bandes d’Adullam et de Siklag lui permettait les grandes constructions. Tyr était alors le centre de la civilisation dans la Syrie méridionale. Les arts, et en particulier l’architecture, y étaient très développés. Cet art tyrien, ou, si l’on veut, phénicien, c’était l’art égyptien, modifié selon la nature des matériaux de la côte de Syrie. La Syrie n’a ni marbre ni granit à comparer à ceux de l’Egypte ; mais les bois que fournissait le Liban étaient les plus beaux du monde. De Tyr, l’on vit s’abattre sur Jérusalem une nuée de constructeurs, de tailleurs de pierres, de charpentiers et d’ouvriers en bois, ainsi que des charges de matériaux tels que n’en produisait pas la Judée, surtout de bois de cèdre. Ces artistes tyriens construisirent à David un palais près du Millo, dans la haute ville de Sion, vers l’angle sud-est du Harâm actuel. L’art proprement dit était resté jusque-là étranger à ces contrées. Le prestige qui en résulta pour David dut être extraordinaire. Jamais la terre de Chanaan n’avait rien vu qui approchât de cette force et de cet éclat.

Quant à Israël, David lui donna ce qui lui avait manqué essentiellement jusque-là, savoir une capitale. Il y aura des schismes, des protestations; il faudra du temps pour que cette capitale soit aimée, rêvée, adoptée par tout Israël. Mais la pierre angulaire est posée, et, comme les sympathies et les haines d’Israël ont été embrassées par le monde entier, Jérusalem sera un jour la capitale de cœur de l’humanité. Cette petite colline de Sion deviendra le pôle magnétique de l’amour et de la poésie religieuse du monde. Qui a fait cela? C’est David. David a réellement créé Jérusalem. D’une vieille acropole, restée debout comme le témoin d’un monde inférieur, il a fait un centre, faible d’abord, mais qui bientôt va prendre une place de premier ordre dans l’histoire morale de l’humanité. Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei. Durant des siècles, la possession de Jérusalem sera l’objet de la bataille du monde. Une