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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/795

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chef-lieu Amsterdam, le département des Bouches-de-l’Elbe, chef-lieu Hambourg, et qui avait eu pour tributaires l’Italie, le royaume de Naples, l’Illyrie, l’Espagne et la Confédération du Rhin, c’est-à-dire : les duchés de Berg, de Hesse, de Bade, le Wurtemberg, la Bavière, la Westphalie, la Saxe et la moitié de la Pologne ; la France, son vaste empire démembré et ses armées partout repoussées, voyait l’ennemi, — l’Europe entière, — à l’est, au pied des Vosges et du Jura, au sud, en-deçà des Pyrénées. La France envahie, épuisée d’hommes et épuisée d’argent, revivait les jours sombres de l’hiver de 1769. Sous Louis XIV, elle avait déjà connu ces terribles lendemains de victoires, ces retours soudains et farouches de la fortune lassée.

Dans les derniers dix-huit mois, des milliers et des milliers de soldats avaient laissé de la steppe de Mojaïsk aux hôpitaux de Mayence une grande traînée de cadavres. En 1812, 175,000 Français avaient passé le Niémen ; en 1813, 400,000 conscrits avaient passé le Rhin ; et, dès l’automne de cette année 1813, de nouveaux décrets appelaient encore 760,000 hommes sous les armes[1]. Le blocus continental, les champs en friche, les fabriques fermées, l’arrêt complet des affaires et des travaux publics, la retenue de 25 pour 100 sur tous les traitemens et pensions non militaires, l’énorme augmentation des impôts, — la cote personnelle fut doublée et la contribution foncière frappée de 50 centimes additionnels, — avaient amené la gêne chez les riches, la misère chez les pauvres. La rente était tombée de 87 francs à 50 fr. 75, les actions de la Banque, cotées jadis 1,430 francs, valaient 715 francs : le change sur les billets de banque était de 12 pour 1,000 en argent, de 60 pour 1,000 en or. Le numéraire était si rare qu’on avait

  1. Sénatus-consulte des 9 octobre et 15 novembre, décrets des 30 novembre et 17 décembre. — Deux autres décrets des 30 décembre 1813 et 6 janvier 1814 allaient encore ordonner la formation de légions de tardes nationales actives, qui seraient levées successivement et selon les besoins. On peut évaluer à 140,000 au moins les hommes mis à la disposition de la défense par ces deux décrets c’était donc en tout 900,000 hommes qui étaient appelés, ou, à mieux dire, sur le point d’être appelés. En effet, s’il y a l’éloquence, il y a aussi l’illusion des chiffres. Par suite des ajournemens de certaines levées, de la résistance que présentèrent certaines autres, du manque d’armes, des difficultés de toute sorte, sur ces 900,000 soldats et miliciens, un tiers à peine fut organisé et un huitième seulement combattit en rase campagne. De même, les 575,000 hommes des armées de 1812 et 1813 ne périrent pas tous par les balles, le froid et le typhus, comme l’affirmaient les pamphlets des premiers jours de la restauration. Près de 300,000 étaient prisonniers ou tenaient les villes fortes d’Allemagne (Hambourg, où il y avait 42,000 hommes ; Dresde, où il y avait 20,000 hommes j Magdebourg. où il y avait 18,000 hommes ; Dantzig, Torgau, Erfurth, etc.), et plus de 100,000 défendaient Strasbourg, Metz, Maëstrich, Mayence, Anvers, etc., ou tenaient la campagne en Alsace, en Lorraine et dans les Pays-Bas.