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sénateur Chaptal, qui ne savait rien organiser et qui avait le tort de manifester trop haut ses inquiétudes, on disait que « c’était un commissaire extraordinaire fort extraordinaire. » C’est par découragement, par désir de ne se point compromettre, ou encore, comme ce bon Panurge, par « paour naturelle des coups, » que la plupart des fonctionnaires avaient si peu d’énergie. Plusieurs cependant désiraient secrètement la chute de l’empire. Tel ce préfet de la Somme qui ne prenait aucune mesure contre les réfractaires, arrêtait le départ des conscrits, choisissait les officiers de la garde nationale parmi les anciens émigrés et nommait chef de cohorte un royaliste notoirement compromis, astreint à la surveillance de la haute police. Tel Anglès, le bras droit du duc de Rovigo, qui participait aux intrigues de Dalberg. Tel ce haut employé de la préfecture de la Seine, qui déblatérait dans un café contre l’empire, en ajoutant : « Mon opinion est indépendante de ma place. » Tel enfin ce procureur impérial, qui osait dire en plein salon : « Si les alliés voulaient payer la tête de Napoléon un ou deux millions, on la leur livrerait bientôt. »

Pour peu nombreux qu’ils fussent, les royalistes n’en étaient pas moins fort actifs. Ils s’employèrent d’abord à rappeler aux Français le nom oublié des Bourbons. Chaque jour, dans quelque ville, à Bordeaux le 28 décembre, à Troyes le 29, à Rennes le à jan- vier, à Abbeville le 6, à Cambrai le 8, à Agen le 9, à Dax et à Dieppe le 10, à Évreux et à Toulon le 11, à Marseille le 12, à Amiens le 14, à Paris, à Quimper, à Douai, à Angers le 15, à Moulins le 17, à Châteauroux le 22, à Rouen et à Laval le 28, on affichait des placards ou l’on colportait des proclamations déclarant que les alliés combattaient pour les Bourbons et respecteraient les maisons des royalistes, et promettant, avec le retour du roi légitime, la paix, la suppression des droits réunis et l’abolition de la conscription. « Français, lisait-on dans une proclamation de Louis XVIII, n’attendez de votre roi aucun reproche, aucune plainte, aucun souvenir du passé : il ne veut vous entretenir que de paix, de clémence et de pardon… Tous les Français ont droit aux honneurs et dignités ; le roi ne peut régner qu’avec le concours de la nation et de ses députés… Recevez en amis ces généreux alliés, ouvrez-leur les portes de vos villes, prévenez les coups qu’une résistance criminelle et inutile ne manquerait pas d’attirer sur vous, et que leur entrée en France soit accueillie par les accens de la joie. » — « Français, lisait-on dans une proclamation du prince de Condé, Louis XVIII, votre légitime souverain, vient d’être reconnu par les puissances de l’Europe. Leurs armées victorieuses s’avancent vers vos frontières… Vous aurez la paix et le pardon, l’inviolabilité des propriétés sera consacrée, les