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une restauration, par l’attitude ambiguë des souverains alliés qui, sans rien leur promettre de positif, étaient loin de les décourager, ils se disposaient à seconder personnellement les efforts de leurs partisans. Le 1er janvier, le comte de Provence écrivait, et signait comme roi de France, la seconde proclamation d’Hartwell. Dans le courant du mois, le duc de Berri arrivait à Jersey, où il se trouvait à proximité de la Bretagne ; le comte d’Artois et le duc d’Angoulême s’embarquaient, le premier pour gagner la Franche-Comté par les Pays-Bas et la Suisse, le second pour rejoindre en-deçà des Pyrénées le quartier-général de Wellington. L’invasion leur ouvrait la France.

Les appels à la rébellion, l’inertie des fonctionnaires, et surtout les nouvelles de la marche de l’ennemi qui gagnait chaque jour du terrain, achevaient de perdre l’esprit public, créaient partout l’agitation et le désordre. Les levées des conscrits et des gardes nationales rencontraient une résistance extrême. Personne ne voulait plus partir. La cohorte active de Rouen était composée exclusivement de remplaçans ; on n’avait même pas pu trouver d’officiers. C’était à qui donnerait l’exemple de l’insoumission. Dans le Nord, le Pas-de-Calais, le Calvados, l’Eure-et-Loir, les Landes, la Haute-Garonne, surtout dans la Mayenne, les Deux-Sèvres, le Maine-et-Loire et la Loire-Inférieure, chaque séance de tirage au sort devenait émeute. Les appelés murmuraient, vociféraient, menaçaient. À Toulouse, ce placard fut affiché : « Le premier qui se présentera pour tirer au sort sera pendu. » Le 20 janvier, sur la demande du préfet de Nantes, qui craignait un soulèvement, la levée de 1815 fut ajournée de quinze jours. Le préfet de Maine-et-Loire écrivait : » L’insurrection de tout le département est à craindre. » Le préfet du Calvados : « À Caen, tout est prêt pour une révolution. » Malgré les gendarmes, les colonnes mobiles, les garnisaires, déserteurs, réfractaires, insoumis se multipliaient. Un détachement de conscrits de la levée des 300,000 hommes, comptant 177 présens au départ, n’en avait plus que 35 à l’arrivée. Si les soldats manquaient de fusils, les réfractaires savaient en trouver. Des bandes armées de 50, de 200, de 1,000 et même de 1,500 réfractaires parcouraient l’Artois, le Maine et l’Anjou, comme au temps de la chouannerie, fusillant avec les troupes, arrêtant les diligences, envahissant, la nuit, les villages pour forcer les conscrits à les suivre et piller les caisses des percepteurs. Moins nombreux, mais non moins menaçans pour les voyageurs, des groupes de réfractaires de 10 à 20 hommes dévalisaient les voitures et les malles-postes sur les routes de Lyon, de Toulouse, de Montpellier.

Le recouvrement des impôts soulevait les mêmes résistances que