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rompus. Tous les officiers, plusieurs les larmes plein les yeux, s’approchèrent du groupe auguste, témoignant de leur émotion par ce mouvement spontané. Le jour même, une adresse à l’empereur fut signée dans les légions, encore que le général Hullin, commandant de place, eût tenté de s’y opposer au nom de la discipline. Entre autres protestations de fidélité et de dévoûment, l’adresse contenait cette phrase caractéristique : « En vain les ennemis ont conçu l’injurieux espoir de diviser la nation, A la haine, à l’animosité que leur inspire la crainte de votre génie, vos fidèles sujets opposeront leur amour et la confiance que les vicissitudes de la fortune n’ont pas détruits. » Le lendemain, l’impression des paroles de l’empereur était restée si profonde que quelques beaux esprits prirent à tâche de l’atténuer. À les entendre, la scène grandiose de la salle des maréchaux n’était qu’une comédie dont Talma avait réglé les répétitions.

Le départ de l’empereur pour l’armée, le 25 janvier, à quatre heures du matin, ranima l’espérance. On ne pouvait croire que le capitaine, si longtemps invincible, ne retrouvât pas sa fortune sur le sol envahi de la France. On disait que toutes les chances étaient pour l’empereur, qu’il avait deux cent mille soldats à Châlons, qu’un traité secrètement conclu avec Ferdinand VII allait lui rendre les vieilles troupes d’Aragon et de Catalogne, que les alliés effrayés ne demandaient qu’à signer la paix. Aux premières nouvelles des combats de Saint-Dizier (27 janvier) et de Brienne (29 janvier), que les journaux officieux, — mais ne l’étaient-ils pas tous ? — représentaient comme de grands succès, la Bourse monta en trois jours de plus de 2 francs. Le 1er février, à l’Opéra, où l’on donnait la première représentation de l’Oriflamme, le public nombreux et enthousiaste s’attendait à voir l’impératrice, le roi Joseph et même le roi de Rome, et à entendre sur la scène l’annonce officielle de la grande victoire. Fausse joie, espérances d’un jour. Dès le lendemain, 2 février, la note du Moniteur, qui parle du combat de Brienne comme d’une simple affaire d’arrière-garde, répand l’inquiétude. Le 4, les nouvelles de la défaite de la Rothière et de la retraite de l’armée impériale jettent la consternation. La rente tombe à 47.75. Le change monte à 40 et 50 pour 1,000 sur l’argent, à 90 et 100 sur l’or : encore beaucoup de changeurs ne veulent-ils donner de l’or à aucun prix. La foule se porte à la Banque pour le remboursement des billets, remboursement qui, par arrêté du 18 janvier, ne peut pas excéder 500,000 francs par jour. Au mont-de-piété, le maximum du prêt est fixé à 20 francs, quelle que soit la valeur de l’objet engagé. Les employés de la préfecture de police ne suffisent pas aux demandes de passeports : 1,300 sont délivrés dans une seule journée. Beaucoup de magasins se ferment ;