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les armoires, secrétaires, commodes, s’emparant de l’argent, des bijoux, du linge, brisant les glaces et les meubles. Les instrumens et outils de toutes professions sont arrachés à leurs propriétaires, cassés, brûlés et dispersés. Des religieuses sont outragées, les temples profanés, les tabernacles forcés, les vases sacrés volés. Des femmes et des filles à peine nubiles sont violées sous les yeux de leurs maris et de leurs parens… Ces scènes d’horreur sont répétées tous les jours jusqu’à l’évacuation de la ville. » Suprême ironie, en quittant cette ville de Sens où il avait présidé au pillage, le prince héritier de Wurtemberg, beau comme un jeune dieu, réquisitionnait vingt-quatre paires de gants blancs !


VII.

En exaspérant la population, ces exploits de bachi-bozouks et de chauffeurs ramenaient à Napoléon les plus hostiles et armaient les moins belliqueux. Un professeur nommé Dardenne, ardent républicain, écrivait de Chaumont : « Admirez la versatilité de mes opinions. Vous savez combien peu j’aimais ce guerrier farouche à qui, jusqu’à ce jour, ont été soumis les destins de la France… Eh bien ! aujourd’hui, je prie les dieux pour la prospérité de ses armes, tant la honte de voir mon pays au pouvoir de ces odieux Cosaques l’emporte sur tous mes autres sentimens. » Le général Allix écrivait d’Auxerre : « l’esprit parmi le peuple va toujours en s’exaspérant, et les fauteurs de l’ennemi n’osent plus élever la voix. » Le général Pire écrivait de Chaumont : « Je suis assailli par des paysans qui me demandent des armes et de la poudre. » Enfin, le préfet de Seine-et-Marne résumait l’opinion générale par ces mots : « Les habitans se consoleront des malheurs passés et sont prêts à de nouveaux sacrifices, pourvu qu’il soit fait justice des Cosaques[1]. » Et lorsque les paysans, si cruellement

  1. Préfet de Seine-et-Marne à Montalivet, 9 mars. (Arch. nat.. F. 7. 4,290.) — (Cf. rapports du comte François, du 5 février au 10 mars, passim. (Arch. nat., F. 7, 4,291) ; lettre du préfet des Ardennes, 10 février, et rapport du commissaire-général de police dans la Côte-d’Or et l’Yonne : « … Le département de l’Yonne est un de ceux qui ont le plus souffert. En déplorant, avec ces malheureux habitans les maux dont ils ont été accablés, je ne puis cependant m’empêcher de croire, avec tous les fonctionnaires locaux, que l’esprit public a gagné depuis lors, et que la conduite odieuse des ennemis, en produisant l’effet naturel de les faire abhorrer, n’a fait que mieux sentir à tous les citoyens le besoin de se serrer étroitement autour du trône de l’empereur, dont le génie vient de les délivrer de ces prétendus libérateurs. » 12 mars. Arch. nat, F. 7, 4,290). Cf. Caulaincourt à Napoléon (Châtillon, 24 février) : « … L’ennemi ravage les campagnes ; aussi l’exaspération des paysans est-elle fort grande, » et Bassano à Caulaincourt (Guignes, 16 février) : « L’inconduite de l’ennemi rend la guerre nationale. L’exaspération des habitans est telle qu’ils ont égorgé un grand nombre d’hommes isolés et que les traînards russes viennent se jeter dans nos colonnes pour y trouver un asile. » (Arch. des affaires étrangères. Fonds : France, 668.)