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l’esprit ascétique est encore trop vivant dans les couches populaire. pour que le peuple se passe entièrement de moines. « En fermant nos monastères, nous risquerions, me disait-il. de faire ouvrir des skytes clandestins. Or mieux vaut des couvens de l’état que des moines occultes. »


II.

Moins nombreux que les couvens d’hommes, les couvens de femmes sont d’ordinaire plus peuplés. Au premier abord, les statistiques officielles semblent indiquer moins de religieuses que de religieux : à y bien regarder, on voit que, dans les cloîtres, le nombre des femmes dépasse celui des hommes. La loi ne les admettant aux vœux monastiques qu’à quarante ans, la statistique ne compte comme religieuses que les filles ayant dépassé cet âge. Les règlemens, qui, depuis Pierre le Grand, interdisent aux jeunes filles la profession monastique, ne leur défendent pas l’entrée du cloître. Elles y vivent comme novices, et restent libres de rentrer dans le monde et de se marier. Beaucoup, préférant cette liberté, vieillissent au couvent sans faire de vœux.

Le nombre des femmes qui prennent le voile est, depuis un siècle, en progression sensible. En 1815, il n’y avait, dans l’empire, que 91 couvens. avec moins de 1.700 religieuses professes. Vers 1870, la Russie ne comptait encore que 11,000 nonnes ou novices, réparties en 148 monastères. Une quinzaines d’années plus tard, en 1886, le chiffre des femmes vouées à la vie religieuse était monté à près de 18,000 et le nombre de leurs couvens à 171. Quoiqu’il y ait encore loin de là aux 120,000 ou 130,000 sœurs de toute robe possédées par la France, on voit qu’en Russie, comme partout de nos jours, c’est sur la femme que le cloître exerce le plus d’attraction.

En dehors des notices ou des nonnes qui portent la robe à traîne de la religieuse orthodoxe, la Russie compte quelques milliers de béguines ou tchernitsy. C’est-à-dire femmes vêtues de noir. Ces tchernitsy. sorte de chanoinesses plébéiennes, vivent en commun, dans le célibat et dans le jeune, sans faire de vœux, gardant chacune son pécule et sa liberté. Elles sont, d’habitude, fort respectées du peuple : on prétend que beaucoup d’entre elles ne revêtent la robe sombre de tchernitsa que pour vivre indépendantes de leurs familles. Pour ces filles du peuple, chez lequel la femme est encore tenue dans un servage oriental, cette profession de piété est un procédé d’émancipation. Quand une fille d’artisan ou de paysan veut se faire tchernitsa, il est d’usage de lui abandonner la art de l'avoir commun qui doit lui revenir à la mort de ses parens. Ce sont