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ouvrent l’accès à toutes les classes, les fils de popes sont encore presque seuls à solliciter d’y être admis. Beaucoup, il est vrai, ne font que traverser le séminaire pour passer dans les carrières civiles. Les séminaires n’en ont pas moins gardé un caractère de caste ; à certains égards, ils sont la propriété et la forteresse de la caste. Ils l’entretiennent dans son isolement, eu donnant aux enfans du clergé une éducation à part, dans des maisons pratiquement fermées aux autres familles. Aussi, pour supprimer la caste, a-t-on parfois proposé de supprimer le séminaire. Ce serait peut-être le seul moyen d’avoir un clergé vraiment séculier. Par malheur, l’église entend nourrir ses prêtres d’autres alimens que des sciences profanes. La vocation sacerdotale exige un long dressage, difficile dans des collèges publics, au milieu de jeunes gens voués à de tout autres soucis. Si rien ne l’oblige à conserver des écoles primaires spéciales pour ses filles et ses fils, le clergé ne saurait guère fermer ses séminaires pour donner aux futurs prêtres un enseignement tout laïque.

Ce n’est point qu’en Russie les séminaires et les écoles ecclésiastiques de tout rang se distinguent beaucoup, par les idées ou les sentimens, des établissemens laïques. L’esprit n’en est pas toujours meilleur. La religion même est loin d’y posséder toujours sur les âmes l’ascendant que semblerait lui devoir assurer l’éducation cléricale. De ces maisons ecclésiastiques sont, de tout temps, sortis nombre d’incrédules. Si le fait n’est nullement particulier à la Russie, il n’est nulle part plus fréquent. Cette anomalie apparente s’explique, en partie, par le régime longtemps suivi dans les séminaires, par les rigueurs morales et les privations matérielles infligées aux séminaristes. En dépit des lois et des privilèges officiels du clergé, on n’y a longtemps connu d’autre discipline que les verges et les châtimens corporels. Les supérieurs, dit-on, n’y ont même pas toujours renoncé aujourd’hui. Mal nourris, insuffisamment vêtus, aigris par de précoces souffrances, ne connaissant guère de la religion que de fastidieuses pratiques, les séminaristes prenaient en aversion et leurs maîtres et leur vocation, et la société et l’église. Les académies ecclésiastiques ne valaient pas beaucoup mieux ; les étudians en théologie ne se faisaient pas scrupule de fréquenter le traktir ou le kabak. Jusque parmi cette élite de la jeunesse sacerdotale, la débauche et les orgies de toute sorte n’étaient pas rares. Il arrivait à ces élèves en théologie d’être rapportés du cabaret ivres-morts; dans leur argot de séminaire, cela s’appelait, naguère encore, la translation des reliques. Un fils de prêtre, mort à vingt-trois ans de misère et d’excès, Pomialovsky, s’était fait un nom en dépeignant, dans ses Nouvelles, la vie des « vieilles bourses » (ainsi nommait-on dans le peuple les séminaires) ; Pomialovsky y avait lui-même été élevé