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envers elle que le trésor. Le budget que lui octroie l’état est au moins doublé par les libres dons des particuliers. Le clergé recueille des quêtes, des troncs des églises, des offrandes de toute sorte, une douzaine de millions de roubles. En outre, le saint-synode possède des capitaux, une sorte de fonds de réserve amassé peu à peu et montant à une trentaine de millions (de roubles), dont le revenu s’ajoute au budget du culte orthodoxe.

En Russie, de même qu’en France, le budget du culte dominant pourrait être regardé comme une dette nationale. Là aussi, la subvention accordée à l’église n’est qu’une mince indemnité des biens qui lui ont été enlevés. Dans l’ancienne Moscovie, l’église possédait d’énormes propriétés territoriales. La terre et les paysans étaient la monnaie du pays; les princes et les boyars, pauvres de numéraire, payaient en terres les prières du clergé. C’est ainsi que l’église était devenue le plus grand propriétaire de la Russie. Ses biens, déjà limités par les vieux tsars, l’église les a, pour la plupart, perdus au XVIIIe siècle. La sécularisation, effectuée en 1764, atteignit le clergé blanc en même temps que les couvens. En s’emparant des biens ecclésiastiques, Catherine II, comme une trentaine d’années plus tard notre assemblée constituante, prétendait n’y porter la main qu’afin d’en faire un meilleur usage « pour la gloire de Dieu et le bien du pays. » Plus heureuse ou plus habile que la révolution française, la tsarine eut l’art de faire ratifier par le clergé la dépossession de l’église. Un seul prélat, Arsène Matséiévitch, archevêque de Rostof, protesta au nom des canons de l’église. On lui répondit en le dépouillant de l’épiscopat. Comme plus d’un des récalcitrans aux volontés autocratiques, il fut déclaré fou ou radoteur (vrai), et à ce titre enfermé pour la vie dans une prison de Revel. Il y mourut après vingt ans de captivité, et sa mort fut tenue secrète, de peur que les dévots n’eussent l’idée de l’honorer comme confesseur de la foi.

Le clergé séculier, de même que les couvens, a conservé ou recouvré une partie de ses terres. Dans chaque paroisse, le pope a d’ordinaire la jouissance d’un champ; la plupart des communes lui attribuent une trentaine de désiatines[1]. Les prêtres qui reçoivent un traitement du trésor sont parfois les mieux dotés de terres. C’est que, dans les provinces de religion mixte, là où il est en concurrence avec le curé catholique, le pasteur protestant ou le mollah musulman, le pope est soutenu par l’état, comme un agent de russification. D’après les statistiques du Zemstro de Podolie, les 1,350 paroisses orthodoxes de ce seul diocèse se partageaient 80,000 désiatines de champs labourés, rapportant environ 600,000 roubles, et à ces

  1. On se rappelle que la désiatine vaut un 1 hectare 9 ares.