Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le pauvre homme étonne le curé; il l’interroge, il l’adjure de confesser son péché. « As-tu tué quelque marchand? lui dit-il. — J’ai découvert un trésor, » répond le moujik. Le pope décide de s’emparer de la trouvaille de son paroissien en lui faisant peur. D’accord avec sa popesse, il imagine de se déguiser en diable. Pour cela, il s’affuble de la peau d’une chèvre. Le stratagème réussit, le moujik livre son trésor; mais, en le rapportant, le pope s’aperçoit que la peau de chèvre s’est attachée à ses membres. Cette naïve légende pourrait servir d’allégorie. Comme la peau de chèvre, le renom de cupidité s’est attaché au prêtre ; il s’est collé à son front, il le défigure, il fait prendre le ministre de Dieu pour un suppôt du diable. Avoir des yeux de pope est une expression proverbiale pour désigner des regards avides.

Les évêques cherchent à modérer la cupidité de leurs prêtres ; ils savent au besoin leur donner d’édifiantes leçons. Voici à cet égard un trait que j’ai tout lieu de croire exact. Une pauvre femme était venue trouver Mgr Dmitri, alors archevêque de Toula, le suppliant de lui avancer deux roubles. Le prélat, dont la charité était légendaire, ne put les trouver sur lui. « Que voulez-vous faire de ces deux roubles? demanda-t-il à la femme. — Mon mari est mort, répondit-elle, je voudrais foire dire pour lui les prières de l’église, et le prêtre exige deux roubles pour l’enterrement. — Je ne puis vous les prêter aujourd’hui, répliqua Mgr Dmitri: mais je présiderai moi-même demain aux funérailles de votre défunt. » Et il tint parole, à la consternation du pope, ainsi mis en cause. Le service funèbre terminé, l’évêque, au lieu d’adresser un reproche au prêtre, lui tendit un billet de deux roubles, en disant : « Prenez, vous n’êtes pas comme moi. Vous n’avez pas d’appointements, vous n’avez que votre casuel pour vivre. » Cela, en effet, est d’ordinaire exact et explique l’apparente rapacité des malheureux popes.

Le premier souci d’un prêtre, en prenant possession d’une paroisse, est de s’enquérir de la valeur du casuel. Il y a deux ans, un jeune pope du diocèse de Volhynie avait été nommé à une cure du district de Rovno. Ayant appris que c’était une paroisse pauvre, il écrivit à l’archevêché pour en solliciter une plus lucrative. L’archevêque, Mgr Palladius, fit droit à la demande du jeune ecclésiastique, mais en même temps il écrivit en marge de la requête : « Le pétitionnaire sollicite une paroisse de rapport. Pour l’obtenir, il faut travailler et s’en montrer digne. Les préoccupations matérielles cadrent mal avec la mission ecclésiastique. Le pétitionnaire ferait peut-être bien de chercher son avantage en dehors du sacerdoce, qui ne paraît pas être sa vocation[1]. » Je doute que le

  1. La note de l’archevêque, publiée par le consistoire pour la gouverne du cierge diocésain, fut reproduite par les journaux, notamment par le Kievlianine (oct. 1885).