Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/878

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant à leur droit d’élection qu’elles le rachetèrent elles-mêmes au gouvernement.

Tâchons de nous dégager des préjugés contemporains et de mieux comprendre cette époque. En réalité, les villes du XVIIe et du XVIIIe siècle ressemblaient à leur bourgeoisie : sans perdre conscience d’elles-mêmes, elles s’étaient données à la monarchie. Elles voyaient dans la majesté imposante du pouvoir central le symbole de l’unité française. Qu’on parcoure la plupart de nos grandes villes : Lyon, Bordeaux, Nantes et tant d’autres, on sera frappé du nombre d’édifices publics ou privés qui datent de ces deux siècles, et qui portent la marque d’une prospérité difficile à concevoir sans une forte dose d’indépendance et d’initiative. Le goût de l’uniformité, l’imitation de Versailles, et, pour tout dire, le dévoûment au roi, s’y marient singulièrement aux traditions locales. Arrêtez-vous à Reims, sur la place Louis XV, construite tout entière dans le goût du dernier siècle. La statue de « Louis le Bien-aimé » s’y dresse dans une attitude héroïque, qui déconcerte un peu vos notions d’histoire. Cette statue est-elle donc une simple platitude, comme celle que La Feuillade éleva à Louis XIV? Nullement. L’histoire de la ville montre que l’enthousiasme des bons Rémois fut sincère. C’était l’hommage spontané du vin de Champagne et du drap qui avaient largement profité des années prospères de la première moitié de ce règne. Ce loyalisme subsistait en province alors même que l’humeur frondeuse prédominait à Paris, et le gaspillage des finances n’y fit pas immédiatement oublier l’influence bienfaisante du cardinal Fleury. Mais le sentiment monarchique n’étouffait pas nécessairement l’originalité : à cette même époque, Nantes et Bordeaux, qui jouaient dans le monde un fort grand rôle, avaient chacune leur goût, leurs traditions et leur parure. Le pinceau de Vernet reproduisait avec complaisance cette variété somptueuse de nos ports. Est-ce que la ville de Paris, dont on ne conteste pas la puissante individualité, ne se portait pas au-devant de ses souverains avec un empressement que nous trouverions servile? Nos conseillers municipaux ferment volontiers les yeux sur ces égaremens passagers ; ils voudraient arrêter l’histoire à Etienne Marcel. Leurs devanciers, non moins remuans, étaient plus souples. On peut s’en assurer en feuilletant, au musée Carnavalet, le gros volume qui contient la description des fêtes données par la capitale à l’occasion des entrées de rois ou de princes du sang. Que de feux d’artifice l’orgueil municipal n’a-t-il pas tirés en l’honneur de la royauté avant de la décapiter! Que de festins, que de bals, que de lampions! Et il n’était pas nécessaire de réchauffer le zèle public : la joie de la population tenait du délire,