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et courage. On ne voit guère que lady Rochford qu’il fallut porter sur le billot, et qui se débattit jusqu’à la dernière seconde dans une frénésie de terreur et de désespoir. Hommes et femmes se composaient une toilette d’échafaud, s’endimanchaient pour mourir, les uns par une coquetterie funèbre, les autres par une charité posthume, car le bourreau héritait du dernier costume porté par le condamné. Sur la plate-forme, on prononçait d’ordinaire une sorte de sermon où l’on établissait avec précision sa manière de penser sur la Sainte-Trinité, sur la transsubstantiation et sur les autres points de controverse. Puis on pardonnait à l’exécuteur et l’on priait pour le roi. Pas un n’y manqua ; pas un ne maudit la main sanglante qui s’appesantissait sur lui. Craignaient-ils de prononcer des paroles de haine, des souhaits de vengeance sur le seuil de l’autre vie ? Ou redoutaient-ils encore le tyran qui pouvait rendre leur supplice mille fois plus horrible, enfermer plusieurs morts dans une seule ? Aussi bien, l’échafaud était entré dans les mœurs. Comme la peste ou la suette, c’est une maladie du temps, une maladie dont mouraient les gens bien portans. C’était surtout, comme la goutte, une maladie de riches : le plus exposé était celui qui offrait la proie la plus grasse aux proscripteurs. Je ne suivrai pas cette lugubre procession d’ombres décapitées, qui commence à sir Thomas More et finit au comte de Surrey. Quiconque avait dans les veines quelques gouttes de sang princier, quiconque remplissait dans l’état des fonctions auxquelles s’attachait une responsabilité, quiconque avait plu, puis cessé de plaire, devait apercevoir, dans une brume de sang, Tower-Hill ou Tyburn comme le terme probable, la fin presque nécessaire de toutes les grandeurs.

On trouvera peut-être qu’il y a de la naïveté ou du raffinement à accuser un meurtrier de manquer de tact ; cependant le portrait d’Henry VIII serait incomplet, si je ne le montrais insultant ses victimes et joignant, en toute circonstance, la grossièreté au crime. L’homme qui enjoignait à sa fille légitime de se reconnaître bâtarde sous peine de haute trahison, qui envoyait son fils adultérin, le duc de Richmond, présider à la punition de l’adultère dans la personne d’Anne Boleyn, qui épousait sa troisième femme le lendemain de l’exécution de la seconde, qui notifiait ses infortunes conjugales aux puissances étrangères et les soumettait à l’examen minutieux de tous les légistes du royaume, qui, sans consommer le mariage, partagea six mois le lit d’Anne de Clèves en lui tournant le dos et en rêvant aux moyens de divorcer, cet homme appartenait à la farce aussi bien qu’au drame. On peut être un lourdaud en même temps qu’un scélérat. Le peuple ne s’y est pas trompé : il a mieux vu que les historiens lorsqu’il a fait d’Henry VIII un Néron-Sganarelle qui montre une face grotesque et une face effrayante.