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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/924

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SÉPULTURES CHINOISES


I.

C’était à Tientsin, par une journée d’hiver. Du haut des remparts où je venais de faire ma promenade habituelle, une plaine jaunâtre s’étalait, sans limites. Le Peï-ho glacé s’allongeait immobile entre ses berges désertes, sous les rayons pâlis du soleil. Par places, sur l’étendue morne et plate, des étangs gelés, au milieu desquels flottaient des îlots bas, miroitaient si faiblement qu’on les confondait presque avec la terre de leurs bords. Au loin, des pêcheurs brisaient la glace pour harponner le poisson qui se montrait à la surface, mais, dans l’air blafard et sur le fond indécis de l’horizon, leurs silhouettes se détachèrent à peine et semblaient vaporeuses, bien qu’il n’y eût ni vapeur ni brume dans l’atmosphère refroidie. Dans les derniers plans, quelques lignes d’arbres rabougris aux branches dépouillées se profilaient vaguement de distance en distance.

Entre ces étangs et ces arbres, la terre était parsemée de tombeaux : il y en avait des milliers et des milliers dans les champs, sur les rives du fleuve, sur le bord des chemins, à perte de vue.

Une lumière grisâtre, uniformément épandue, était jetée comme un voile de tristesse, comme un linceul jauni sur cette plaine absolument nue, d’où rien n’émergeait, où toute vie était suspendue et qui se prolongeait encore très loin vers l’est par les glaces du Petchili.

C’était l’impression la plus saisissante que j’eusse encore ressentie