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les cercles officiels. A Berlin, on se flatte plutôt de la pensée que l’exemple donné par l’empire allemand pour la protection des ouvriers s’imposera par la force des choses aux pays voisins, qui seront obligés à court délai de prendre des mesures semblables. Quoi qu’il en soit des améliorations positives réalisées légalement, les concessions obtenues sont loin de suffire aux députés socialistes. L’institution des chambres ouvrières et des offices du travail, demandée dans la motion Auer et consorts, ne devait être elle-même qu’une sorte de point de départ, une étape dans l’évolution sociale, un moyen d’assurer l’avènement de l’état collectiviste. Après comme avant, le but réel à atteindre et que les manœuvres de simple tactique parlementaire ne doivent pas faire perdre de vue, c’est la transformation de la propriété individuelle en propriété collective, c’est la suppression du salariat pour l’exploitation coopérative de la terre et des instrumens de travail, confisqués au profit de la communauté, en vue d’une autre répartition des produits conformément aux besoins de chacun. Convaincus d’être « les porteurs d’une nouvelle idée civilisatrice, » dont ils sont responsables dans l’histoire devant « les contemporains et envers la postérité, » les chefs socialistes répètent à chaque occasion l’annonce prophétique : « Aussi sûrement que le jour succède à la nuit, l’état démocratique-socialiste remplacera l’ordre social actuel. » Aussi, en dépit de tous les efforts pour persuader au Reichstag allemand qu’ils sollicitent son concours pour l’élaboration de lois conciliables avec les conditions économiques présentes et la constitution de la société actuelle, ces illuminés ne peuvent-ils contenir leurs instincts révolutionnaires. A travers leurs réticences percent et éclatent malgré tout les velléités d’un renversement violent de l’ordre établi.

L’organisation puissante de la démocratie socialiste en Allemagne se manifeste surtout aux élections pour le Reichstag. Chaque élection nouvelle permet de constater un accroissement rapide des forces du parti, et les conservateurs monarchistes s’en préoccupent à juste titre. Lassalle indiquait le suffrage universel direct comme un moyen infaillible pour les ouvriers de transformer par la législation les conditions du travail et d’améliorer leur bien-être. Sur ses instances, l’assemblée des délégations ouvrières réunies à Stuttgart en 1864 réclama l’introduction du suffrage universel pour les élections législatives. Le prince de Bismarck, qui préludait à la constitution de l’unité allemande, vit dans cette demande un puissant auxiliaire pour réaliser ses projets. Appuyé sur la bourgeoisie libérale, qui aspirait à l’unité, soutenu également par l’agitation ouvrière que dirigeait Ferdinand Lassalle, le futur chancelier de l’empire avait déjà proposé l’institution d’une assemblée nationale, dans un