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avis sur la matière. Le docteur Darwin avait grande confiance dans le jugement de celui-ci, et s’en rapportait volontiers à ce qu’il disait. La lettre de Josiah Wedgwood fut très favorable au projet. Le docteur Darwin se rendit aux raisons qui lui étaient données et accorda son consentement. Pour le décider, son fils lui disait, faisant allusion à ses dépenses un peu exagérées à Cambridge, « qu’il lui faudrait être diablement habile pour dépenser plus que sa pension à bord du Beagle » À quoi le père riposta, avec un sourire d’homme qui sait ce qu’il dit : « Mais l’on m’assure que vous êtes très habile sous ce rapport. » Fort du consentement paternel, le jeune Darwin écrivit à Henslow pour lui annoncer sa décision, et se rendit à Cambridge pour savoir si la place était encore libre, prendre ses arrangemens pour le voyage et élucider un certain nombre de points importans. Il fit la connaissance de Fitz-Roy, le commandant de l’expédition, homme très jeune encore, — il n’avait que vingt-quatre ans ! — mais fort entreprenant et intelligent, et pour lequel il se prit d’une vive affection.

Il alla aussi voir le Beagle. C’était un fort petit vaisseau de 242 tonnes, équipé en barque, portant six canons ; on le classait dans la catégorie dite des cercueils, à cause de la fâcheuse tendance de cette sorte de navires à couler par le gros temps. L’espace y était restreint et mesuré avec une parcimonie extrême. L’équipement en était excellent et l’équipage choisi avec grand soin ; plusieurs des officiers arrivèrent par la suite à des positions éminentes. La mission du Beagle consistait à relever les côtes de Patagonie et de la Terre de Feu, du Chili, du Pérou et de quelques îles du Pacifique, et à faire une série d’observations chronométriques en vue de déterminer la longitude de divers points du globe.

Fixé primitivement pour la fin de septembre 1831, le départ du Beagle ne s’effectua qu’en décembre. La période d’hésitations, d’attente, de préparatifs, fatigua fort le jeune naturaliste : « Ces deux mois passés à Plymouth ont été les plus malheureux que j’aie vécus, bien que mes occupations y fussent très variées. J’étais attristé par la pensée de quitter toute ma famille et mes amis pendant une aussi longue période, et le temps me paraissait inexprimablement lugubre. Je souffrais aussi de palpitations et de douleurs au cœur ; et n’ayant acquis qu’un faible savoir médical, j’étais convaincu, comme tous les ignorans, que j’avais une maladie de cœur. Je ne voulus pas consulter le docteur, craignant d’entendre un verdict qui m’empêcherait de partir, et j’étais décidé à partir à tout hasard. »

Ce voyage fut certainement pénible pour le jeune homme ; il souffrit du mal de mer à l’excès, et l’on a souvent attribué la mauvaise santé de Darwin aux épreuves que ce mal fit subir à son organisme. Les amiraux Mellersh et Sulivan, qui furent les compagnons