Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

met à trembler, à geindre, à prendre une expression misérable, sachant bien que son maître ira déclarant partout qu’elle « meurt de faim, » ce qui ne peut qu’être profitable à ses intérêts à elle, Polly. Cette promenade conduit Darwin à la serre d’abord, où il va visiter les plantes en expérience, puis dans un champ qui a été spécialement arrangé en promenoir, ou encore, au dehors, dans la campagne. Le plus souvent, c’est au promenoir qu’il se rend. C’est un champ étroit, mais allongé, planté de chênes et d’autres arbres, entouré d’une haie basse, et d’où l’on découvre une jolie vue ; une allée circulaire, sablonneuse, en parcourt les bords. Autrefois, Darwin en faisait chaque soir un nombre de tours fixé d’avance ; devenu plus vieux, il en fait ce que ses forces lui permettent. Il s’arrête souvent pour observer les oiseaux et autres bêtes, et son immobilité est telle qu’il arrive à de jeunes écureuils de lui grimper sur les jambes et le dos, tandis que leur mère, dans un arbre, les rappelle avec des cris d’angoisse. S’il ne va pas au Sand-Walk, — c’est le nom de ce promenoir habituel, — il se promène avec les siens dans le jardin, examinant les fleurs, pour lesquelles il éprouve une admiration artistique non moins vive que son admiration de botaniste pour leur structure et leurs adaptations multiples. Étant jeune homme, il a eu la passion du cheval, et, dans son âge mûr, il l’a pratiqué sur ordonnance des médecins ; mais divers accidens l’ont dégoûté de cet exercice. Au retour de la promenade, il prend son goûter. Son alimentation est simple, et il n’est pas grand mangeur. Il ne boit que très peu de vin, et il ne lui est arrivé qu’une fois, étant étudiant à Cambridge, de boire plus qu’il n’eût dû. « Je me rappelle, dit Francis Darwin, lui avoir une fois demandé, dans mon innocence d’enfant, s’il avait jamais été pris de vin, et il me répondit très gravement qu’il éprouvait de la honte à m’avouer qu’il avait une fois, à Cambridge, bu plus que de raison. » Il a une passion pour les sucreries, passion malheureuse, car elles lui sont défendues. Il promet souvent de n’en pas prendre, mais ne considère ses sermens comme valables que s’ils ont été faits à haute voix. — Après le goûter, il s’étend sur un divan du salon et lit le journal. Ses opinions politiques ne sont guère le résultat d’une profonde méditation ; il se les fait en passant, mais il lit avec soin les débats parlementaires, qu’il trouve d’ailleurs démesurément prolixes et dont il rit souvent. Après cette lecture, la seule qu’il fasse propria persona, car tout le reste lui est lu à haute voix, il s’occupe de sa correspondance, qu’il dicte le plus souvent. Il est très méticuleux sur ce point : il a de vifs remords quand il laisse tarder une réponse, si insignifiante que puisse être l’épître de celui qui lui a écrit. Il a pourtant reçu beaucoup de lettres irréfléchies et ridicules. Toutes ont eu leur réponse courtoise et bienveillante. Il garde toutes les lettres qu’il reçoit.