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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/205

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LA VIE DE CHARLES DARWIN.

ouvrit ses portes, et, en 1879, celle de Turin lui décerna un prix de 12,000 francs, dont il prit immédiatement une partie pour en faire don à Dohrn pour sa station zoologique de Naples, qui a tant rendu de services à la science. Les honneurs ne lui faisaient point oublier ses amis, car c’est à cette époque qu’il réussit à faire allouer à Wallace, son ami et rival, une pension gouvernementale.

Nous n’insisterons pas plus longuement sur cette dernière période de la vie de Darwin : tout son intérêt réside dans les œuvres qu’il publia, œuvres touchant surtout à la botanique, et dont nous ne pouvons entreprendre ici le résumé. Il est cependant un point qu’il nous sera permis d’effleurer en passant : c’est la question des idées religieuses du grand naturaliste. Pour la grande majorité de ceux qui en parlent sans l’avoir lu, — et le nombre en est grand, — Darwin est « un athée qui fait descendre l’homme du singe. » Athée, Darwin ne l’est pas : il n’est pas chrétien, mais il n’est pas athée. Sur ce point, son autobiographie et ses lettres sont formelles. Pendant son enfance et sa jeunesse, à l’époque du voyage, Darwin était un croyant sincère, acceptant tous les dogmes de l’église d’Angleterre, — au point même d’exciter l’hilarité de ses compagnons de voyage, qui étaient pourtant des croyans. C’est de 1836 à 1839 que Darwin a le plus réfléchi aux questions religieuses, et c’est de cette époque que date la modification de ses idées. De chrétien il devint déiste : il sentait la nécessité d’un créateur, étant donnée la création ; d’un législateur, en considérant les lois grandioses qu’il déchiffrait ; mais il ne croyait pas à une intervention occasionnelle de ce législateur, et estimait que les lois suivent toujours leurs cours, sans intervention de celui qui les a formulées dès le début. Il revient souvent sur ce point, et pense que la mort d’un être particulier n’est pas plus nécessaire, à un moment donné, que la variation d’un individu ou la création d’une espèce nouvelle n’est spécialement voulue. C’est un résultat des circonstances et non d’une volonté spéciale. « Il m’a toujours paru, dit-il, écrivant à une dame qui lui fait part de ses inquiétudes, il m’a toujours paru plus satisfaisant de considérer l’immense quantité de douleur et de souffrance qui existe dans ce monde comme le résultat inévitable de la suite naturelle des faits, c’est-à-dire des lois générales, plutôt que comme le résultat de l’intervention directe de Dieu, bien que ceci ne soit point logique, — je le sais, — quand il s’agit d’une divinité omnisciente. » Et ailleurs : « Je ne puis me persuader qu’un Dieu bienfaisant et tout-puissant ait créé les ichmeumons (animaux parasitaires vivant aux dépens des chenilles qu’ils détruisent) de propos délibéré, avec la volonté expresse, qu’ils vivent dans les corps des chenilles, ni que les souris doivent servir de jouet au chat. » Et encore : « La foudre tue un homme bon ou