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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/219

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M. Blyden est sévère pour les établissemens que la France cherche à créer dans les bassins du Niger et de l’Ogooué. Il nous prête l’absurde intention de coloniser l’Afrique tropicale. C’est un protectorat que nous aspirons à y fonder, et un vrai protecteur n’est pas un conquérant ; il remplit les fonctions d’un juge de paix, qui concilie les différends, et l’office d’un bon gendarme, qui fait main basse sur les malfaiteurs. Nous désirons prouver aux noirs que, si le commerce, compris de certaine façon, entretient l’esclavage, il peut servir aussi à le détruire, et que le drapeau tricolore est un emblème de paix et de liberté. Il est raconté quelque part que les arbres voulurent un jour se donner un roi. Ils s’adressèrent d’abord à l’olivier, qui répondit : « Je ne quitterai pas le soin de mon huile pour régner sur vous. » Le figuier dit qu’il préférait la douceur de son fruit aux honneurs du pouvoir suprême. La vigne déclara que son unique souci était son bon vin, qui réjouit le cœur des hommes et des dieux. Enfin on s’adressa à l’épine, et l’épine répondit : « Je vous offre mon ombre, et si vous n’en voulez pas, le feu sortira du buisson et vous dévorera. » L’Afrique a été trop longtemps gouvernée par l’épine, et plus d’une fois le feu est sorti du buisson. L’Europe, qui lui a fait tant de mal, lui offre aujourd’hui le secours


De quelque dieu plus doux qui veille sur ses jours.


Mais il ne suffit pas que le protecteur soit humain, il est tenu d’être intelligent, et il le serait bien peu s’il prétendait imposer à des Africains ses lois et ses mœurs, mouler leur âme sur la sienne. Notre fatuité européenne se persuade trop facilement qu’il n’y a pas d’autre civilisation, ni d’autres règles de conduite, ni d’autre manière de bien vivre, ni d’autre façon d’être heureux, ni d’autres vertus, ni d’autres bienséances que les nôtres. M. de Brazza me disait un jour : « Chaque fois que je retourne au Congo, j’y laisse quelques-uns de mes sots préjugés. En y arrivant, je m’imaginais que la moralité des indigènes se mesure à l’ampleur du pagne en fil de palmier ou d’ananas qui compose tout leur costume. J’ai découvert que, tout au contraire, plus on avance dans l’intérieur, plus le pagne se raccourcit, et qu’on finit par arriver dans des endroits perdus où il se réduit à un morceau d’étoffe grand comme la main. C’est là que les femmes sont le plus fidèles. »


G. VALBERT.