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Les trois premiers chapitres du livre de M. Moreau en sont peut-être les meilleurs et les plus amusans. Il y étudie, non sans : esprit ni malice : dans le style de M. Dumas ; les « plaisanteries et les métaphores » tirées de la langue du droit ; dans le dialogue de ses comédies ; les « allusions à la loi ; » et dans ses intrigues enfin, « les choses et les personnes du monde juridique ; » On n’en a pas fait plus ni même autant pour Molière ; on ne ferait pas mieux pour un ancien, pour Plaute ou pour Aristophane. Parmi les personnes du monde juridique, il semble donc que M. Dumas ait fait un grand emploi des notaires, emploi neuf, au surplus, et flatteur pour la corporation ; un emploi qui vengerait les notaires, s’ils en avaient besoin, des mauvaises plaisanteries de l’ancien répertoire. Incarnation vivante de la loi, graves, impassibles, inflexibles comme elle, les notaires de M. Dumas s’étonnent d’eux-mêmes ; quand par hasard ils se dérident ou qu’ils s’attendrissent. « Un ancien notaire et les larmes, ça a l’air de ne pas aller ensemble, » dit Canlagnac dans la Femme de Claude. Dépositaires, non-seulement des fortunes, mais aussi des secrets des familles, hommes d’expérience et de bon conseil, « méthodiques » et « prosaïques, » plus boutonnés qu’un diplomate, et plus discrets qu’un confesseur, on comprend aisément que les notaires de M. Dumas, appelés, consultés et crus en toute occasion, fassent toujours dans son théâtre des personnages considérables, et même quelquefois ceux qui tiennent, si l’on peut ainsi dire, les ficelles des autres. Les plus achevés en ce genre sont le notaire Galanson, dans la Princesse George, et, dans le Fils naturel, Aristide Fressard. Mais le rôle que M. Dumas préfère encore pour eux, c’est celui de raisonneur ou de moraliste. Le notaire est décidément le Cléante ou l’Ariste de son répertoire ; et il arrive bien, dans quelques pièces, comme dans la Princesse de Bagdad, que l’avoué le remplace, ou le professeur du Collège de France, comme dans l’Étrangère ; mais ce n’est plus la même chose ; et ces titres, évidemment, n’inspirent point à M. Dumas le même respect ou la même confiance. Quant aux avocats dans le théâtre de M. Dumas, presque en toute occasion, ils ne sont guère « envisagés, nous dit M. Moreau, que comme faisant métier de dire des choses désagréables à la partie adverse, » ou de rendre à la société les fripons qu’une méprise de la justice nous avait momentanément enlevés. Plaisanteries « un peu vieillottes, » imputations banales et quasi calomnieuses, qu’il n’eût tenu qu’à M. Félix Moreau de réduire à néant. Les avocats, tout le monde la sait, ne font pas métier « de dire des choses désagréables » à la partie adverse ; ils en font seulement quelquefois marchandise.

De la présence de tant d’avoués et de tant de notaires dans les comédies de M. Dumas, de tous ces habits noirs et de toutes ces cravates ; blanches, il « appert, » comme on dit en style de palais, que M. Dumas