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ticle du budget. C’est l’arbitraire érigé en système ! Que résulte-t-il de ce régime un peu prolongé ? la conséquence est claire : c’est cette situation où l’on se débat, où tout est confondu et affaibli, où le sentiment des conditions justes et vraies de la vie publique s’émousse, et où de l’instabilité, de l’impossibilité des gouvernemens naît le malaise dans le pays.

Que le ministère, qui existe encore aujourd’hui, ait senti plus ou moins distinctement le besoin de réagir contre ces courans mortels, et qu’il ait semblé, un instant, vouloir se donner le programme d’un gouvernement dégagé des plus malfaisantes influences du radicalisme, c’est bien sans doute ce qui est apparu. Pourra-t-il, ce ministère, résister longtemps à la pression des partis, qui en sont à épier chacune de ses paroles, chacune de ses actions, qui veulent lui imposer, sous prétexte de réformes toujours nouvelles, toujours plus nécessaires, une prétendue politique républicaine ? Ce qui est certain, c’est qu’il est serré de près comme les autres, plus que les autres, et que les derniers incidens ne lui font pas une position plus facile. Il est déjà assailli de toutes parts. On lui demande des réformes d’impôts, des réformes d’administration ; on lui demande aussi des réformes de personnel ; on lui demande surtout sa complicité dans ce qu’on médite contre le service des cultes, contre l’ambassade auprès du Vatican. Les radicaux sont dévorés du besoin de réformer, c’est-à-dire de désorganiser, en renversant, chemin faisant, quelque ministère. Et comme on ne s’arrête plus dans la voie de la désorganisation, on en vient à proposer une bien autre aventure, à mettre le siège devant une institution jusqu’ici à demi respectée, l’institution du ministère de la guerre. Il ne s’agirait de rien moins que de créer un ministre « civil » de la guerre !

Chose singulière ! cette idée assez étrange par elle-même de donner un chef civil à l’armée se présente sous une apparence spécieuse : ce serait, dit-on, un moyen de bannir la politique des affaires militaires, de soustraire, par la division des fonctions, la direction technique de l’armée aux instabilités parlementaires. Il y aurait un ministre civil qui administrerait, qui serait l’homme du parlement, qui partagerait la fortune de ses collègues ; il y aurait auprès de lui un chef d’état-major à peu près permanent, placé en dehors des fluctuations de la politique, représentant la tradition, dépositaire des secrets de commandement, des plans de mobilisation. La combinaison peut sembler ingénieuse. Il n’y a qu’un malheur, on aurait vraisemblablement organisé l’anarchie. Il y a eu sans doute des temps où il y avait deux ministres, l’un chargé de l’administration de l’armée, l’autre chargé de la partie militaire, du personnel, des préparations de guerre ; mais au-dessus de ces deux ministres, il y avait le vrai ministre, le grand chef, Napoléon, qui rétablissait l’unité par son action, qui conduisait tout, qui