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de fournir pour sa défense un secours de trois bataillons, formant un effectif d’environ 6,000 hommes. Le cabinet anglais, à la surprise générale, fit savoir aux états-généraux que le temps était venu de remplir leur engagement. La réclamation pouvait paraître étrangement rigoureuse dans un moment où, pour résister aux menaces d’une invasion française, la Hollande ne disposait pas de forces superflues ; mais la singularité s’expliqua quand on apprit que, pour l’envoi qu’ils avaient à faire, les états-généraux désignaient les bataillons mêmes qui, assiégés l’été précédent dans Tournay et dans Dendermonde, en étaient sortis par capitulation, avec promesse de ne plus porter les armes contre la France. C’était donc, tout simplement, un artifice convenu d’avance entre les deux puissances alliées pour faire servir, par un détour, à la défense commune, les soldats que leur serment condamnait à l’inaction.

Dès que cette résolution fut connue, le chargé d’affaires de France, La Ville, se hâta de protester contre ce qu’il regardait, non sans quelque raison, comme une violation indirecte de la foi jurée. Les Hollandais répliquèrent qu’une bande de rebelles écossais ne faisait nullement partie des troupes françaises et n’avait pu être comprise dans la défense prévue. Une polémique très vive s’ensuivit, dans laquelle d’Argenson, généreusement courroucé contre une subtilité déloyale, déploya une vigueur inaccoutumée. Son irritation fut d’autant plus grande qu’il avait tout fait, on l’a vu, pour ramener les états-généraux à des sentimens pacifiques, jusqu’à leur proposer d’être les hôtes d’un congrès et les garans d’un armistice. Cette manière de répondre à ses avances par un parjure l’exaspéra, et la Hollande étant un théâtre où on pouvait parler en public, il fit ouvertement appel à la presse pour défendre la cause de la bonne foi et de la justice. Plus d’un mémoire expédié par lui parut dans les gazettes, entre autres une adresse confiée à la plume éloquente de Voltaire et qui figure encore dans ses œuvres. En définitive, la Hollande tint bon, et le chargé d’affaires de France dut quitter La Haye, laissant à un simple secrétaire le soin de la correspondance. L’Angleterre eut donc les auxiliaires qu’elle attendait, mais il resta avéré, par les paroles mêmes que d’Argenson avait mises dans la bouche de son agent et l’ardeur qu’il avait portée dans ses protestations, que Charles-Edouard était traité par Louis XV comme une puissance alliée, et ceux qui se présenteraient pour combattre contre lui devaient désormais s’attendre à retrouver en face d’eux les armes et le drapeau de la France.

Devant le danger, cette fois réel et menaçant, l’émotion, déjà très vive quand il n’était qu’imaginaire, fut naturellement portée au comble. Pour le gouvernement britannique la perplexité était grande.