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Francfort. Quant aux troupes saxonnes, réduites au rôle de simples auxiliaires, toute leur tâche dut consister à se porter sur la Silésie pour interrompre la communication de cette province avec la capitale. De cette sorte, l’Autriche seule aurait la responsabilité de l’agression faite sur les vieilles possessions prussiennes, et la Saxe ne s’en mêlant pas, Elisabeth n’avait plus rien à dire[1].

Ce n’était pas moins un bouleversement complet des desseins convenus ; quelques jours au moins étaient nécessaires pour informer du changement le prince de Lorraine et lui laisser le temps de modifier lui-même toutes les dispositions qu’il avait déjà prises ; c’était la cause du retard dont s’étonnait Frédéric.

Le 22 novembre, cependant, le prince se mit en mouvement ; mais avec quelle indécision et quelle mollesse ! Ignorant la surveillance dont il était l’objet, il s’avançait tout à son aise, dispersant ses troupes pour les mieux nourrir et les loger plus commodément. Frédéric, au contraire, informé régulièrement de tous ses pas, n’attendait qu’un signal. Dès qu’il sut que la frontière saxonne était franchie, passant la rivière de Queïss sur quatre ponts déjà tout préparés, il s’y présenta de son côté. Quelque mauvaise opinion qu’il eût de la diligence du prince de Lorraine, la lenteur des mouvemens de l’armée autrichienne dépassa tellement son attente, qu’il comptait la prendre à dos, tandis qu’il ne rencontra dans le petit village de Hennersdorf que l’avant-garde composée de deux bataillons et six escadrons saxons. Les attaquer et les mettre en déroute fut l’affaire de deux heures. Le lendemain, il s’attendait à être rejoint et pris à partie par le prince de Lorraine, et se tint prêt à le recevoir ; puis, le jour suivant, ne le voyant pas venir, il allait partir pour marcher à sa rencontre : quel ne fut pas son joyeux étonnement d’apprendre que son ennemi, loin de le chercher ou de l’attendre, reculait et s’évanouissait devant lui !

Effectivement, le prince de Lorraine, confondu de trouver un obstacle sur un chemin qu’il croyait libre, prenait le parti de s’en aller au plus vite en Bohême pour réfléchir sur l’explication du fait imprévu qui causait sa surprise. — « Jamais, écrivait-il à son frère l’empereur, je n’ai éprouvé pareil embarras de ma vie. » — Cette retraite, qui se ressentait de l’émotion excessive du général, ou plutôt cette fuite, sans avoir combattu, donna le plus honteux spectacle de trouble et de désordre, au grand divertissement des populations qui, effrayées de l’aspect farouche et des

  1. D’Arneth, t. III, p. 142-143. — Droysen, t. II, p. 597-598. — Frédéric, dans l’Histoire de mon temps, ne paraît pas avoir compris le changement survenu à la dernière heure dans le conseil des alliés.