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certes, marin comme il l’était, il en avait le droit. Le souvenir du combat du Grand-Port demeurait profondément gravé dans son esprit : il se promettait bien de ne pas renouveler la faute des Anglais.

« Je veux, écrivait-il confidentiellement au ministre, le 27 juin, réfléchir devant vous à l’affaire qui m’amène ici. Elle est assez grave pour m’occuper exclusivement, et je suis persuadé qu’elle ne vous occupe pas moins. Je vous en parlerai donc sans autre préambule que celui-ci : si je pouvais supposer que qui que ce soit pût attribuer à un motif suspect l’examen que je vais faire des difficultés de l’entreprise, je ne dirais pas un seul mot ; mais, chargé et responsable d’une opération où il s’agit de l’honneur de la France, je dois compter pour rien mes susceptibilités personnelles. Je commence, par répéter que je crois possible le forcement des passes du Tage avec des vaisseaux. Il est impossible de ne pas admettre qu’avec un vent fait de l’arrière, secondé par un courant de flot bien établi et un temps qui permette de voir devant soi, — car il ne faut pas compter sur des pilotes, — une ligne de vaisseaux puisse, à la condition d’en sacrifier peut-être quelques-uns, franchir ces passes, malgré les obstacles militaires et naturels qu’elles présentent.

« Ce fait posé, il faut voir quelles chances on a de réunir les conditions nécessaires. La première, celle des vents du nord-ouest au sud-sud-ouest, est extrêmement rare dans les mois de juin, juillet et août. Durant cette partie de l’année, il y a des nuaisons entières de vents du nord-est au nord, sans aucune variation. Il se pourra donc que, sous ce rapport, l’escadre trouve un obstacle invincible, au moins pour longtemps. Or, le long temps employé à croiser dans ces parages, avec une escadre nombreuse, équivaut, à bien peu près, à une impossibilité complète, à cause des avaries inévitables. La condition du vent de l’arrière est pourtant de rigueur. D’après tous les renseignemens que je reçois des hommes du pays, je trouve que : « soit qu’on prenne la petite passe., soit qu’on prenne la grande, il arrive que tous les vents dans lesquels il entre du nord nordissent de plus en plus en avançant dans le goulet. Ils deviennent nord-est en dedans du fort Saint-Julien, et, par conséquent, trop près quand on vient par la petite passe, tout à fait debout quand on entre par la grande. Conclusion : il faut absolument des vents sous vergue, c’est-à-dire du nord-ouest au sud-ouest, car si les forts ne sont pas un obstacle absolu, ce n’est sans doute qu’autant qu’il ne faut pas faire évoluer des vaisseaux sous leurs feux croisés. Dans ce cas, on ne pourrait compter sur un virement de bord. Si le vent manque ou hale de l’avant sous le fort Saint-Julien, le