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prendre la bordée du large ; il manque deux fois de suite à virer. Les forts de Sébastopol ouvrent le feu. Capitaine et équipage s’embarquent dans la chaloupe qui était à la traîne et abandonnent le brick à son sort. Plus de 100 canons foudroient le navire déserté, le foudroient sans l’atteindre. Les Russes cependant tiraient bien. Le brick, impassible, les perroquets hauts, les basses voiles amurées, continue majestueusement sa route, sous les bordées de fer qui redoublent. Il va s’échouer doucement, la proue à terre, sur un fit d’algues et de sable, au fond d’une petite anse couverte par le monticule de la quarantaine. La Fortune a conduit cet aveugle par la main. Les Russes ne l’aperçoivent plus : ils le savent la pourtant, et s’acharnent à faire pleuvoir leurs projectiles dans la baie, au jugé. Nous allâmes sur-le-champ le visiter. Trois obus seulement l’ont touché, L’un a troué le grand perroquet ; le second a traversé la guibre ; le troisième est venu mourir, sans éclater, auprès de la claire-voie du pont. Nous attendîmes la nuit pour alléger ce brick si visiblement protégé par la Providence, et parvînmes sans grand’peine à le remettre à flot. La manœuvre fut habilement et intrépidement conduite par un des aides-de-camp de l’amiral, le lieutenant de vaisseau Giovanetti. Le brick, dès qu’il flotta, — on lui avait rendu son capitaine et ses matelots, — reprit tranquillement sa route vers Balaklava. Si le capitaine était resté à bord, il serait aujourd’hui rangé parmi les héros. Il est vrai que ce capitaine n’eût peut-être pas aussi bien gouverné que le hasard. L’entrée de l’anse était étroite, difficile à saisir : le meilleur timonier pouvait la manquer.

Le contre-amiral Roussin, en vertu du vœu formellement exprimé par le ministre, demeurait, tout placé qu’il fût à la tête d’une escadre, le préfet maritime titulaire du port de Brest. Le contre-amiral Le Coupé, major-général, le remplaçait pendant son absence. L’amiral Roussin adressa, le 1er juillet, à l’officier-général qui le suppléait, la-dépêche suivante : « Mon cher général, je vous envoie une assez belle prise que je viens de faire à la pointe de l’épée. Elle s’était réfugiée sous les forts, où nous sommes allés la chercher et la prendre. Nous avons échangé un certain nombre de coups de canon qui ont ruiné pas mal de pièces. Les Portugais ont été moins adroits. L’escadre de Toulon a été aperçue au cap Saint-Vincent, il y a cinq ou six jours, mais le vent de nord-est, forcé comme à l’ordinaire, s’oppose au ralliement aussi bien qu’à d’autres opérations. »


V

Partie de Toulon le 8 juin, cette division, attendue avec impatience le 1er juillet, était plus qu’un renfort ; elle constituait, à elle