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de croiser à petits bords devant le mouillage de Cascaës et d’y paraître tous les matins, pour peu que le vent semble de nature à favoriser l’entrée. « Nous serons ainsi plus tôt prêts, écrit l’amiral. Un appareillage en masse demanderait trop de temps, vu la longueur des touées et les mauvaises qualités des cabestans. » Nous avons affaire, remarquez-le bien, à un homme qui sait son métier. Aucun détail ne lui échappe.

Le 10 juillet, à quatre heures vingt minutes du soir, le Dragon rapporte la réponse du vicomte de Santarem. L’amiral Roussin inscrit sur son fidèle registre, sur ce registre confident de ses plus secrètes pensées, l’impression qu’il en ressent : « Le gouvernement portugais, écrit-il, refuse les satisfactions demandées par la France. Il offre de traiter à Londres. C’est refuser. J’entrerai dans le Tage à la première occasion favorable. Je prends mes dernières dispositions. » Tout le gréement, en effet, est déjà bossé pour le combat. Les renseignemens recueillis par le commandant du Dragon sur sa route ont plutôt affermi qu’ébranlé la résolution de l’amiral : « Le fort de Saint-Julien est armé de 62 canons : 35 battent au sud, 20 au sud-ouest, 7 à l’est. Le calibre paraît être du 24. Bugio a haut et bas, 12 pièces battant à l’ouest, au nord et au nord-est. Viennent ensuite : le fort Feitoria, 5 canons à embrasures ; Paco d’Arcos, 2 canons ; Sant-Amaro, 2 canons ; le fort das Maias, 8 canons à embrasures. Il y a sur rade, vis-à-vis la Corderie, trois frégate de 48, deux corvettes et un brick. Le vaisseau le Jean VI et une troisième corvette sont mouillés un peu plus haut que l’Alcantara. La brise, nord-ouest et nord-nord-ouest, a toujours diminué, au fur et à mesure que le brick entrait dans le fleuve. Aussitôt Saint-Julien doublé, calme. Trois minutes après, une brise d’est-nord-est s’élève. Elle souffle fraîche jusqu’au mouillage. Le courant y mène le brick en quarante-cinq minutes. On est resté dix minutes sous le feu du fort Saint-Julien, de l’ouest à l’est. »

M. de Cayeux ajoute : « Le conseil s’est rassemblé au palais de don Miguel. Un officier de marine est venu nous chercher. Nous avons été introduits auprès du ministre. Le commandant du Dragon a remis la lettre de l’amiral. Le vicomte de Santarem a paru très ému ; il a reçu le message en tremblant. Une partie du ministère a été changée depuis huit jours ; mais le comte de Bast nous déteste et fait dominer son opinion contre nous. Quand nous avons mis pied à terre, le peuple est accouru de toutes parts. Il paraissait avide de connaître l’objet de notre envoi. La police prenait soin de ne laisser approcher personne. Malgré tout, un grand nombre de Portugais portaient la main à leur chapeau, non sans crainte évidente d’être remarqués. »