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s’endormir, elles le réveillent en douceur par trois couplets de romance. « Il me semble, dit Bettina pour conclure, que je vais aimer ce pays. » Il nous semble, à nous, qu’elle va aimer ce jeune homme.

Nous savons, connaissant le volume, que tout finira bien ; mais le diable, en cette histoire gouvernée par le bon Dieu, c’est que tout commence bien aussi, et continue de même. Le bon Dieu, quand il est si bon, ne se montre pas auteur dramatique : pour nous intéresser, au théâtre, il faut que l’innocence trouve quelques obstacles sur le chemin du prix Montyon. Or la seule péripétie du roman est un petit voyage de l’artilleur : il va passer trois semaines dans un camp. L’absence du jeune premier, pour le dramaturge, est d’une médiocre ressource : elle ne donne guère qu’un entr’acte. Un long entr’acte, et puis le dénoûment, voilà quelle était la suite naturelle de cet heureux début. M. Ludovic Halévy l’avait bien vu, sans doute, et c’était la raison de sa réserve. MM. Hector Crémieux et Pierre Decourcelle, pour combler ce fâcheux intervalle, ont imaginé une querelle, et même un duel, entre Jean Reynaud et Paul de Lavardens. Ils ont inventé quelques scènes (la première moitié du second acte), pour établir la rivalité de ces deux amis plus solidement que dans le livre, — plus pesamment aussi ; mais la dispute est bien amenée, bien menée. Le duel justifie plus fortement (Il le fallait peut-être ici) la délicieuse escapade de Bettina, sa course matinale, en petits sabots, par la pluie, alors que le régiment défile sous la terrasse : elle veut savoir, à présent, si Rodrigue est revenu intact de sa rencontre avec don Sanche. Nous ne la suivons pas sur la terrasse ; mais nous voyons les gentils apprêts de son départ ; nous entendons les trompettes qui s’approchent, qui passent, qui s’éloignent ; et voici qu’elle rentre, l’aimable espiègle ! Et qui tient, au-dessus de sa tête, le grand parapluie retourné par le vent ? C’est le vigilant abbé Constantin. Ces ingénieux tableaux nous rappellent, mieux que nous ne pouvions l’espérer, une fin de chapitre exquise.

Au dernier acte, un spirituel épisode : Mme de Lavardens épie et surprend avec joie, parce qu’elle la prend à la lettre, une déclaration que son fils, en généreux vaincu, adresse à Bettina pour le compte du vainqueur. Enfin, nous reconnaissons les deux scènes capitales qui terminent le roman : la confidence de Jean à son parrain, aveu d’un amour sans espoir ; la confession à haute voix de Bettina, proclamation d’un amour qui s’offre et qui ravit le désespéré au septième ciel.

M. Lafontaine est un abbé vénérable et charmant ; M. Noblet, un Parisien authentique, échappé de son club pour se griser un peu dans une soirée de la colonie étrangère, puis se dégriser autant qu’il faut sous une insulte, comme s’il avait reçu au visage un verre d’eau froide ; Mlle Darlaud semble une Américaine empruntée aux aquarelles