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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/521

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de nouveaux plans de campagne, engageant l’impératrice à tenir ferme, dans l’espoir qu’on pourrait faire patienter aussi le roi de Pologne jusqu’à l’arrivée des Russes, et faire encore à tourner la tête au Tamerlan que nous avons à combattre[1]. »

Mais rien ne peut arrêter le cours une fois précipité des événemens, surtout quand une main habile ne les laisse pas dévier du sens où les a une fois portés la fortune. Dès le 18, Frédéric, déjà en marche le jour du combat, arrivait devant Dresde pour y recueillir les fruits d’une victoire qui était son œuvre au moins autant que celle du général qui avait livré la bataille. Il y était attendu par des populations tremblantes, qui ne savaient quel sort leur réservait un vainqueur dont l’humeur intraitable était redoutée même de ses propres serviteurs, et dont le portrait leur avait été tracé sous les couleurs les plus noires. Il parut tout de suite n’avoir d’autre souci que de les rassurer. Le roi de Pologne, ne pouvant se faire suivre de toute sa famille, avait laissé à Dresde ses plus jeunes enfans. La première visite de Frédéric fut pour eux, et, en les comblant d’amitiés et de caresses, il exprima, avec une sensibilité assez bien jouée pour sembler sincère, le regret qu’Auguste et la reine eussent paru craindre, en fuyant devant lui, d’être inquiétés dans leurs personnes. Par son ordre, la discipline la plus sévère fut imposée aux troupes d’occupation, afin de ne donner lieu à aucune plainte d’exaction et de violence. Étalant la confiance pour mieux l’inspirer, il se montra à plusieurs reprises sur la promenade sans gardes et sans suite. L’Opéra, très bien pourvu, par Auguste, de chanteuses et d’artistes italiens, était le divertissement favori de la ville, et la pièce en cours de représentation se trouvait être un drame lyrique dont le héros était Arminius, le défenseur de l’indépendance germanique ; on l’avait composé tout exprès en l’honneur d’Auguste et de Marie-Thérèse et pour célébrer leur union contre l’invasion française. Non-seulement Frédéric ne demanda pas qu’on fermât le théâtre, ou qu’on changeât de sujet, mais il commanda une solennité de gala pour s’y faire voir, et laissa chanter, sans paraître s’en émouvoir, des couplets dirigés contre les traîtres à la patrie et les amis de l’étranger. Sur sa demande, la princesse Lubomirska, chez qui il était logé, convia à plusieurs réceptions brillantes les seigneurs, les dames de distinction, les lettrés, les artistes ; il prit plaisir à les éblouir par la variété de ses connaissances et toutes les grâces d’une conversation piquante. Il rappelait aimablement qu’il était venu à Dresde dix-sept ans auparavant, amené, encore tout jeune,

  1. Vaulgrenant à d’Argenson, dépêche citée. — D’Arneth, t. III, p. 413, 411.