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pour tout ce qui s’y est passé n’en est pas moins au-dessus de l’expression. Les manœuvres savantes et judicieuses de Votre Majesté présentent un canevas fort étendu à la méditation. Je ne puis assez l’admirer, et, depuis Alexandre et César, je ne crois rien de si grand et de si frappant. La conduite que Votre Majesté a tenue dans cette guerre contre les Saxons ressemble et surpasse assurément les belles, les rapides expéditions de ces deux grands hommes, qui entreprenaient des guerres et les terminaient en peu de jours. Recevez avec bonté, Sire, cet hommage, qui ne peut être soupçonné de flatterie, et que l’admiration du sublime m’arrache, malgré l’amertume qu’un si grand événement a dû naturellement répandre dans mon âme[1]. »

Frédéric voulait rentrer, avant les fêtes de la nouvelle année, dans la capitale de ses états reconquis. Il quitta donc Dresde dans les derniers jours de décembre, sans même attendre les ratifications de Vienne. Dans la foule empressée qui vint le saluer au moment de son départ, Vaulgrenant et d’Harrach, obligés l’un et l’autre, peut-être à regret, à cette politesse, durent se rencontrer et revenir encore une fois sur les détails de leur conversation nocturne. Vaulgrenant se montra tout de suite très inquiet de savoir si d’Harrach, dans son tête-à-tête avec le roi, n’avait rien laissé transpirer de la négociation clandestine. L’Autrichien se hâta de le rassurer, puis, lui montrant une bague surmontée d’un diamant de prix qu’il avait au doigt : — « Voilà, dit-il, le présent que j’ai reçu en souvenir de ce malheureux traité ; mais j’aurais mieux aimé avoir coupé le doigt qui le porte que de l’employer à cette signature. » — Il lui exprima ensuite l’espérance que leurs pourparlers ne resteraient pas complètement sans fruit et pourraient préparer dans l’avenir (à la fin des fins, dit-il) une voie plus facile à l’accommodement de leurs deux cours. — « En ce cas, ajouta-t-il, qu’elles s’entendent directement et sans recourir aux intermédiaires, qui ne font qu’embrouiller le métier. » — Et il lui indiqua le nom de deux de ses amis personnels, l’un résidant à Londres et l’autre à Bruxelles, à qui on pourrait s’adresser si on avait quelque chose à faire dire secrètement à Vienne[2].

Nulle description n’est nécessaire pour imaginer, et aucune ne

  1. Maurice de Saxe à Frédéric, sans date (décembre 1745). — (Ministère de la guerre.) — Cette lettre est aussi insérée dans les œuvres de Frédéric, t. XVII, p. 301.
  2. Vaulgrenant à d’Argenson, 20 et 28 décembre 1745. (Correspondance de Saxe. — — Ministère des affaires étrangères.) — La première de ces deux dépêches contient l’envoi d’une lettre de d’Harrach à Vaulgrenant ; la seconde, un récit de leur conversation.