tels que la Querelle, les Exploits d’Agamemnon, l’Ambassade, la Patroclie, les Adieux d’Hector et d’Andromaque, la Mort d’Hector. Ces chants répondaient bien aux phases principales d’une même action ; mais c’était là le seul lien qui les réunit, lien bien faible et bien lâche ; dans ce premier état, ils n’étaient même pas rattachés les uns aux autres par des transitions qui permissent de les réciter à la suite ; ils ne formaient pas une série continue. La beauté de ces narrations leur aurait aussitôt valu l’avantage de jouir auprès du public contemporain ; d’une faveur exceptionnelle ; ceux qui les répétaient, pour aller au-devant des désirs de leurs auditeurs, se seraient appliqués à étendre ce thème devenu si vite populaire ; ils auraient obtenu ce résultat au moyen de ce que M. Croiset appelle les chants de développement et les chants de raccord. Ce travail aurait été poursuivi, pendant un siècle et plus, de l’art 900 environ jusque vers les premières Olympiades, par les membres de cette école de chanteurs épiques que l’on nommait les Homérides, et qui paraissent avoir habité surtout l’île de Chios ; il aurait créé cet ensemble et fait l’unité là où il n’y avait d’abord que des chants connexes, mais isolés, des fragmens épars.
Nous ne saurions suivre ici M. Croiset dans le compte qu’il rend de cette opération. Malgré tout ce qu’il y a d’ingénieux dans ses remarques et de subtil dans ses raisonnemens, il n’arrive pas plus que ceux qui l’ont précédé dans cette voie à faire comprendre comment l’unité a pu sortir de la multiplicité. On parle de noyaux de cristallisation, ou bien d’un centre organique autour duquel seraient venues se grouper, par l’effet d’une sorte d’attraction, les parties les plus récentes du poème. Ce sont là de pures métaphores, et, comme dit le vieux proverbe, comparaison n’est pas raison. Un poème n’est ni un minéral, ni une plante ; c’est une simple projection de la pensée, une suite de pensées traduites par des mots ; or ce qu’il faudrait alléguer, pour rendre vraisemblable l’hypothèse que l’on propose, c’est un outre exemple, bien attesté, d’un beau poème qui, avec cette unité de composition et de ton, serait, comme Vico le disait de l’Iliade, l’œuvre non pas d’un homme, mais de toute une nation.
Nous ne discuterons pas non plus, — il y aurait trop à dire, — le critérium auquel M. Croiset prétend reconnaître les parties du poème qui appartiennent à Homère, c’est-à-dire au plus ancien et au mieux doué des nombreux auteurs de l’Iliade. Il analyse deux ou trois chants où il croit trouver la première esquisse de toute la fable ; puis il attribue ou il retire à Homère les autres rapsodies suivant qu’elles ressemblent à ces chants qu’il a pris comme types ou qu’elles en diffèrent. En partant de ce principe, ce qu’il refuse de porter à l’actif d’Homère, ce n’est pas seulement tout ce qui peut sembler languissant et médiocre, c’est encore plus d’un mor-