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cœur et me consolait des peines que je pouvais éprouver. Ici, nulle compensation ! .. Plût à Dieu que je n’eusse pas bougé d’Odessa ! .. Que vous dirai-je de ma situation ? D’un seul mot, c’est que je consentirais, sur mon honneur, à me faire couper le bras gauche pour en être dehors… Ma santé dépérit chaque jour, et, d’une manière ou d’une autre, bientôt il en faudra finir… Pauvre Odessa ! pauvre Crimée ! qu’êtes-vous devenues ? Au reste, peut-être y retournerai-je, et plutôt que vous ne pensez. Et peut-être pourrai-je encore m’occuper du bien de ce pays, où tout est neuf, où les hommes ont de quoi s’étendre, tandis qu’ici on est si serré les uns contre les autres qu’on étouffe.


Il étouffe si bien que, dans chacune de ses lettres à l’empereur Alexandre, il cherche à obtenir la promesse qu’il pourra quelque jour « se retirer auprès de lui. » A la fin cependant, l’horizon s’est un peu éclairci. Grâce à Alexandre, malgré les Anglais, les Autrichiens et les Prussiens, Richelieu a sauvé nos provinces frontières ; il a fait réduire le chiffre des indemnités réclamées par les états et les particuliers ; il a obtenu, à Aix-la-Chapelle, l’évacuation anticipée du territoire ; il a décidé le roi à renvoyer la chambre introuvable et à en convoquer une nouvelle, qui, sans doute, ne portera pas « la livrée d’un parti. » Enfin, avec les blés d’Odessa et de la Nouvelle-Russie, il a nourri la France et empêché la disette de dégénérer en famine. « Si nous arrivons à refaire une France, écrivait-il à l’empereur, c’est à Votre Majesté que nous le devrons. » En 1818, la France est refaite, en effet. Elle est maîtresse de son territoire ; elle est rentrée dans le concert européen ; elle voit sa prospérité reprendre son essor ; elle commence à s’habituer à la charte et à la liberté.

Dès lors, Richelieu cessa d’être l’homme nécessaire. Son ministère se disloqua, et un cabinet, dont Decazes était l’âme et Dessolles le président titulaire, lui succéda. Malgré l’opposition des libéraux avancés et des royalistes intransigeans, malgré les scrupules de Richelieu, qui ne voulait pas ajouter aux charges du pays et qui écrivit une lettre très patriotique et très noble, les chambres lui votèrent la création d’un majorât avec 50,000 francs de revenu. C’était à la fois une légère indemnité pour les pertes que lui avait infligées la révolution et une glorieuse récompense nationale au libérateur du territoire.

Il put revenir, au moins en pensée, à son Odessa, a où l’on ne connaissait ni intrigues, ni passions haineuses, ni ultra, ni citra. » Il recommandait le littérateur franc-comtois Charles Nodier pour y diriger un journal littéraire, politique et commercial. Enfin il demandait à l’empereur la permission de revoir les bords de la