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rapprochement avec la propriété. La propriété est respectable, de quelque façon qu’elle ait été acquise, quand elle remplit les conditions exigées par la loi pour sa conservation et pour sa transmission. Il en est de même pour la considération, avec cette différence qu’ici les conditions légales ne sauraient être l’objet d’une détermination aussi exacte. Elles ne sont même l’objet d’une détermination d’aucune sorte. La loi est muette, et nécessairement muette, parce qu’elle est incompétente, pour tout ce qui concerne l’acquisition, la possession et l’héritage de l’honneur ; elle n’intervient que pour le protéger, et elle protège, dans la plupart des cas, le faux honneur comme le vrai.


II

Cette indifférence forcée de la loi pour la qualité de l’honneur révolte bien des consciences. C’est, avec l’insuffisance de la réparation légale, l’une des excuses du duel. Quand mon honneur est attaqué, je ne gagne rien à poursuivre en justice mes calomniateurs. Non-seulement l’effet de leurs calomnies sera aggravé par la publicité du procès, et ne sera pas compensé par les dommages-intérêts, l’amende et la prison qui pourront leur être infligés ; mais que prouvera cet arrêt même, que je suppose rendu en ma faveur ? Il attestera seulement que j’ai été atteint dans mon honneur par des allégations dont il n’établira pas, et dont moi-même je n’aurai pas été admis à établir la fausseté. Le duel, du moins, quelle qu’en soit l’issue, est une réfutation indirecte des imputations qui prétendent me déshonorer, car la preuve de courage que j’y ai donnée prouve ou semble prouver que je suis un homme de cœur.

Le duel est excusable, dans l’état de nos mœurs et de nos lois ; mais il n’est qu’excusable. C’est, d’un côté, pour toute offense, la peine de mort prononcée et appliquée par l’offensé lui-même. C’est, de l’autre, la faculté, pour l’offenseur, de se soustraire à la peine dont il est menacé, en cherchant lui-même à tuer celui qu’il a offensé. C’est, pour les deux adversaires, le hasard d’un combat et les conditions inégales de force, d’adresse et de sang-froid prenant la place de la justice. C’est enfin, dans l’effet moral où il trouve son excuse, une justification très imparfaite de l’honneur. Si l’offensé prouve son honneur en ne craignant pas de provoquer son offenseur en duel, celui-ci prouve également le sien en acceptant la provocation. La justification vaut pour tous les deux, et elle n’établit pas mieux que l’arrêt d’un tribunal, dans un procès où la preuve n’a pas été admise, s’il y a eu calomnie ou simple diffamation. Elle ne fait que substituer une forme de l’honneur à celle qui est en question, et les deux, loin de se confondre, ne sont pas