Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans être un Philinte, nous n’hésitons pas, sous certaines réserves que nous indiquerons tout à l’heure, à soutenir l’opinion contraire. Nous traiterons d’abord la question au seul point de vue du droit naturel, et nous nous efforcerons de prouver que la pratique du droit positif y trouve en principe sa justification.

N’est-ce pas un devoir, dit Alceste, de démasquer le vice honoré, de lui faire perdre cette considération qu’il usurpe et d’appeler sur lui un juste mépris ? Il y a des cas, sans aucun doute, en dehors des abus commis dans l’exercice des fonctions publiques et des méfaits légalement punissables, où il est permis, où c’est même un devoir de flétrir publiquement un malhonnête homme. Je connais les vilenies, impunies et impunissables, d’un homme riche et puissant, aussi habile à étudier les règles du code civil et les défenses du code pénal qu’à tromper l’opinion publique. Je suis témoin de tout le mal qu’il fait, sans remplir dans l’état aucune fonction, par l’influence que lui donne une considération dont je le sais indigne. Je me fais un devoir de combattre cette influence néfaste en rétablissant la vérité, toute la vérité. Des juges pourront me condamner comme diffamateur : la conscience de tous les honnêtes gens m’absoudra. J’aurai peut-être violé le droit positif, mais je me serai tenu dans les limites du droit naturel et de la morale.

Nous ne recherchons pas pour le moment si le droit positif devrait s’approprier cette nouvelle dérogation au principe général qu’il a posé du respect de la considération acquise. Nous restons sur le terrain du droit naturel, et nous nous demanderons seulement si, sur ce terrain, un tel cas pourrait cesser d’être une exception et fournir une règle générale, applicable à tous les autres cas.

Pourquoi, dans l’hypothèse que nous avons faite, y a-t-il un droit ? C’est qu’il y a possibilité précise et déterminée d’un devoir. Je dois au public la révélation d’un secret que je suis seul ou presque seul à posséder, quand cette révélation peut mettre fin à un odieux et funeste abus d’influence. C’est, il faut bien le remarquer, un devoir d’assistance, c’est-à-dire un devoir qui reste vague et indéterminé dans sa formule générale et que les circonstances semblent seules revêtir d’un caractère rigoureux. Ici, il a ce caractère, et s’il est accompli dans des intentions absolument pures, sous. la pression d’une juste indignation et d’un amour désintéressé du bien public, l’acte qu’il a non-seulement permis, mais commandé, est digne de tous les éloges. Le même acte est encore respectable quand il est inspiré par d’autres mobiles, quand il est, par exemple, un acte de vengeance ou quand un intérêt de parti y a la plus grande part. Il n’a plus la valeur morale d’un devoir accompli ; il garde celle de l’exercice d’un droit. Le droit, dans les actions qu’il