Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sots qu’ils ont quelque influence sur ses conseils. Mais il représente l’autorité de l’état, et il ne souffre pas que la force du gouvernement s’affaiblisse dans ses mains, ni qu’on le dépouille de la liberté d’action que les lois lui réservent. Il aime mieux s’en aller, il est presque sûr de revenir. Il peut dire comme Phèdre :


Dans leurs yeux insolens j’ai vu ma perte écrite.


Mais il se dit aussi : « Un jour, ils auront peur et leur lâcheté me rappellera. » Tout le monde se croit capable de conduire un vaisseau par un temps calme ; l’équipage raisonne et parle haut. Mais quand la mer se démonte, on devient plus modeste, on a des égards pour le pilote, on attend d’être au port pour critiquer ses manœuvres.

Il n’y a pas d’institutions parfaites. Le régime parlementaire a de si précieux avantages que les peuples qui en ont pris l’habitude ont bien de la peine à s’en passer. Mais il a cet inconvénient que les vrais hommes d’état y sont souvent à l’étroit, à la gêne. On leur demande compte non-seulement de ce qu’ils ont fait, mais de leurs projets et de leurs pensées les plus secrètes. Un contrôle excessif, indiscret, tyrannique, les réduit quelquefois à l’impuissance, la nécessité de se défendre et de se conserver les oblige à se distraire des grands intérêts dont ils ont la garde, et une partie considérable de leur force se perd en frottemens. En revanche, le gouvernement parlementaire procure de grandes facilités et de merveilleuses espérances aux hommes qui ont le goût de gouverner sans en avoir la vocation, à ceux qu’on nomme les politiciens. M. de Holtzendorf, qui n’aime que la grande politique, n’a pas daigné parler des politiciens. C’est pourtant une espèce très importante, et il faut bien que nous nous occupions d’elle, car elle s’occupe beaucoup de nous ; elle joue un grand rôle dans nos affaires ; quand elles ne vont plus, elle y est pour quelque chose. Si Glaucon, fils d’Ariston, n’avait pas suivi les conseils de Socrate, il serait devenu un politicien, et Athènes s’en serait mal trouvée ; il n’avait pas assez de talent pour faire du bien, on en a toujours assez pour faire du mal.

On peut définir d’un mot le politicien en disant que pour lui la politique n’est ni un art ni une science, mais un métier. Honnêtement ou non, il en vit, et comme de tous les métiers c’est, selon lui, le plus attachant, le plus glorieux, il souhaite d’en vivre à perpétuité. D’ordinaire, il commence par être un courtier d’élections, après quoi il travaille pour son compte. Arrive-t-il à se faire nommer député, sa principale préoccupation est de l’être toujours. A cet effet, il lui importe de passer aux yeux de ses électeurs pour un homme influent, qui est en mesure de demander beaucoup et d’obtenir tout ce qu’il demande. Son fonds de roulement est son influence, et il s’applique de tout son