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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/697

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s’affermir, ils auraient bientôt fait de former des coalitions pour le renverser. Il faut que chacun fasse son métier. Si on représentait au politicien qu’il emploie ses votes à accroître son importance et qu’il passe sa vie à conclure des marchés, il répondrait fièrement qu’il ne demande rien que pour ses amis, et il montrerait à l’univers ses mains nettes. Qu’il vienne à découvrir que quelque gouvernant conclut des marchés moins honnêtes, il crie au scandale, il proteste, il fulmine. Ce n’est plus un politicien, c’est Caton et son austérité farouche. Il s’érige en juge d’instruction ou en procureur-général, il se drape dans sa robe rouge, et on voit monter à son front des sueurs de vertu indignée.

J’ose affirmer que Xénophon s’est trompé, qu’il s’est laissé abuser par de faux rapports, que, quoi qu’il en dise, Glaucon, fils d’Ariston, ne suivit point les conseils de Socrate. Quand on se flatte d’avoir une vocation, on ne résiste pas à ses appels. Glaucon devint politicien, et comme il possédait quelque talent de parole et beaucoup d’esprit d’intrigue, il acquit promptement une assez grande influence, qu’il employait à perdre de réputation tous les hommes qui avaient du crédit et de l’autorité dans Athènes ; car il pensait, lui aussi, qu’un pays ne peut être glorieux et prospère que lorsqu’il a un gouvernement incapable de gouverner.

Un scandale éclata. Il se trouva qu’un parent de l’archonte éponyme avait profité de sa situation pour se faire payer les services qu’il rendait. Glaucon s’indigna, il poursuivit le criminel, fit nommer une commission d’enquête chargée d’informer contre les corruptions et les corrupteurs de la république, et, comme il arrive d’ordinaire, il mêlait les exagérations aux vérités, il confondait les indices avec les preuves, les présomptions avec les évidences, il croyait aveuglément aux faux bruits, aux récits controuvés, aux rapports les plus téméraires, qu’on appelait à Athènes des potins, et il considérait comme son ennemi personnel quiconque se permettait d’avoir un doute ou de suspendre son. jugement. Son nouveau métier le charmait. Les commérages, les délations lui semblaient de délicieux ragoûts ; quand on en a tâté, tout autre plaisir, y compris le vin et les femmes, paraît un peu fade. Ce n’était plus le Glaucon d’autrefois ; il portait sur son front la majesté d’un président d’aréopage, et il promenait dans les rues comme dans les échoppes ses yeux d’inquisiteur, qui faisaient trembler les coupables et même les innocens. Il soupçonnait celui-ci, il dénonçait celui-là. À l’entendre, on aurait pu s’imaginer qu’Athènes était un foyer de pestilence, qu’à l’exception de Glaucon et de ses amis, elle ne renfermait que de malhonnêtes gens et des âmes vénales, en quête d’acheteurs.

Un jour qu’il était descendu au Pirée pour les besoins de son