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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/706

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la poésie, dit à ce propos Théophile Gautier, c’est une folie moderne qui ne tend à rien moins que l’anéantissement de l’art lui-même. » Il a raison ; mais il s’ensuit qu’en poésie comme en peinture, si le « métier » se distingue de « l’art, » il ne s’en distingue guère. Mais bien moins encore se distinguent-ils l’un de l’autre, et tous les deux de la poésie même, depuis que l’invention d’une prose prétendue poétique n’a laissé subsister de différence entre le prosateur et le poète que celle de la facture. Et dans un temps où tout ce qui se dit en vers pourrait aussi bien se dire en prose, il fallait donner à la forme plus d’importance encore qu’elle n’en avait jamais eue… ou supprimer les vers.

Bien loin donc de reprocher à Gautier cette superstition de la forme, il convient au contraire de lui en savoir autant de gré que l’on en saurait peu à un savant ou à un érudit, à un philologue ou à un métaphysicien. Trop forts de leur génie, Lamartine et Musset, par exemple, avaient écrit et surtout rimé trop négligemment ; Hugo lui-même, quoique plus artiste ou plus habile artisan de mots, prodigieux inventeur de rythmes et merveilleux assembleur de rimes, trop souvent emporté par son mouvement même, s’était donné trop de libertés. Ils pouvaient être, ils étaient même déjà devenus d’un dangereux exemple. D’ailleurs, parmi leurs inventions, si la plupart étaient singulièrement heureuses, il y en avait de moins bonnes, et si l’on ne voulait pas qu’on les imitât précisément par leurs mauvais côtés, le temps, — après les Burgraves et après la Chute d’un ange, — était sans doute venu d’y pourvoir. Ce fut l’œuvre propre de Théophile Gautier, le rôle qu’il joua, comme nous disions, sans presque le savoir lui-même. Et si quelques rares écrivains, depuis tantôt un demi-siècle, non-seulement en vers, mais en prose, sont devenus plus scrupuleux que personne peut-être ne l’avait été de 1830 à 1850, ils le doivent en partie à Théophile Gautier. L’invention manque, aujourd’hui, mais non pas l’habileté ou l’adresse, ni même, parmi les jeunes gens, une aptitude générale à revêtir d’une forme « impeccable » les idées qu’ils n’ont point, mais qu’ils auront peut-être un jour. Ils savent qu’il y a un art d’écrire, et ils l’apprennent à tout événement ; et quand, par hasard, ils ont un commencement d’idée, si l’on peut leur faire une critique, c’est d’être, en l’exprimant, presque trop esclaves des règles les plus extérieures de cet art.

Enfin, au droit que le romantisme réclamait encore pour le poète, en imitant la nature même, de la refaire à son image, c’est bien encore Gautier qui a opposé le premier le principe ou l’obligation contradictoire : celle de la soumission absolue du poète, comme du peintre, à l’objet qu’il imite. Le commencement et la fin de l’art, pour Gautier, c’est l’imitation ; et la première loi de l’imitation, pour l’auteur du